Jean-Luc Migué, économiste Institut Fraser Profession émérite, ENAP Quebec

Senior Fellow, Institut Fraser et professeur émérite, ENAP - Senior Fellow, The Fraser Institute and professor Emeritus, ENAP, Québec.

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Emploi public et syndicalisation

Le 4 février 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Autre aboutissement de la monopolisation publique de la production: la part de l’emploi public dans l’ensemble de la main-d’œuvre constitue un déterminant important de l’ampleur de la syndicalisation. Ainsi au Canada comme aux États-Unis le taux de syndicalisation s’avère nettement plus élevé dans le secteur public que privé. En 2003, 75,6% des employés du secteur public canadien étaient syndiqués, contre 19,9% du secteur privé. De même, 41,5% des employés des gouvernements américains appartenaient à un syndicat, contre 9% des employés des firmes privées. On peut donc se convaincre que l’importance relative de l’emploi public, à 18% au Canada plutôt qu’à 14,4% aux États-Unis, explique en bonne partie le plus fort taux de syndicalisation au Canada.

Si on appliquait le même raisonnement à la situation du Québec, où 40% de la main-d’œuvre est syndiquée, on comprendrait pourquoi le taux de syndicalisation dans ce territoire l’emporte sur les autres provinces. On comprendrait qu’il vaille la peine pour la Centrale des enseignants du Québec (CEQ) de diffuser largement auprès de ses membres et dans la population en général les avantages qu’ils ont à retirer de la formation d’un monopole public de l’éducation, tandis que les parents et les contribuables ont moins à gagner à prendre conscience du fardeau fiscal supplémentaire et de la baisse de qualité qui s’ensuivront. Au prix de quelques centaines de dollars par année imposés à la masse des parents contribuables, chacun des enseignants encaissera des milliers de dollars supplémentaires en salaires accrus et en conditions de travail avantageuses. L’ardeur des associations d’éducateurs du réseau public à lutter pour la suppression de la concurrence et contre la liberté de choisir l’école est solidement documentée. La bureaucratie scolaire locale et centrale s’associera allègrement à ce combat. Il ne fait pas de doute que les monopoles syndicaux opposeront une résistance farouche à toute tentative de restaurer la concurrence dans l’industrie de la santé. Ils préfèrent négocier avec un monopole d’État, à l’abri du risque de faillite et de la concurrence, qu’avec un employeur soumis aux risques du marché et déterminé à résister aux demandes excessives du syndicat.

Surutilisation du travail au détriment du capital

L’un des effets généraux associés au monopole public et à son pendant le monopole syndical est qu’il concentre relativement plus de ressources productives dans le travail que dans le capital. (Megginson, et Netter, 2001). Puisque les frais de personnel et les effectifs sont incompressibles dans un régime de « droit » au travail, c’est dans les budgets d’équipement que s’opèrent les rationnements les plus marqués, comme en témoigne la position peu enviable du Canada ou de la France en matière d’accès aux technologies médicales avancées et de longueur des files d’attente.

On prétend parfois que le monopole d’État sert au moins à contrôler les coûts via l’imposition de contraintes à la capacité. La composante travail ou budget salarial reste, elle, constamment excessive. L’hôpital canadien moyen affecte environ 75% de son budget global au salaire, l’hôpital français 70%, tandis que l’hôpital américain affecte moins de 55% à ce poste (McArthur, 2000). En même temps les syndiqués non spécialisés dans les services de santé (entretien, électriciens, plombiers, etc.) touchent des salaires supra concurrentiels, supérieurs à leur contrepartie dans le marché. En comparant les salaires des syndiqués d’hôtellerie à ceux des syndiqués d’hôpital, on découvre que les ouvriers d’entretien gagnent 40% plus cher à l’hôpital, les peintres, 63,3% et les cuisiniers, 28,9%. C’est dans des dimensions spécifiques que les dépenses de santé ont le plus augmenté, soit les dimensions les plus favorables à la promotion des intérêts syndiqués, au détriment par exemple des dépenses d’investissement, d’équipement de haute technologie et de médicaments nouveaux (McMahon, et  Zelder, 2002). Pourtant c’est de ce côté que les bienfaits semblent le plus visibles sur les patients.

Le biais n’est pas exclusif à la santé. On se souviendra des déclarations du Secrétaire général de l’OTAN qui n’hésitait pas à affirmer que l’Europe sous investit en équipement et technologie militaire au profit du personnel et des fonctionnaires bénéficiaires de programmes d’emploi et qui n’ont souvent de militaires que le nom. La conséquence en est que l’Europe dépense les deux tiers du budget que le gouvernement américain affecte à la défense, mais n’atteint que 10% de sa capacité de combat.

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : classe moyenne, économie, gouvernement, pouvoirs publics, Québec, société, syndicalisme, syndicat

Profit de monopole aux syndiqués par l’étatisation

Le 28 janvier 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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La monopolisation de la production suscite l’apparition d’une rente, d’un profit, d’un surplus que quelqu’un voudra s’approprier. L’apparition de surplus suscite la convoitise. Elle donne lieu à ce que l’économiste désigne comme la course aux rentes, de la part de toutes sortes d’intérêts qui gravitent autour de l’industrie monopolisée.

L’une des constantes observées dans l’histoire de la monopolisation sectorielle veut que la cartellisation d’un secteur d’activité par l’étatisation favorise la monopolisation syndicale, c.-à-d. l’apparition d’un cartel des acteurs, soucieux de s’approprier sa part du surplus découlant de la concentration accrue de la structure de production.

Le principal obstacle à la modernisation de l’État réside souvent dans les syndicats du secteur public, qu’il s’agisse des enseignants, chez nous comme aux États-Unis ou des travailleurs du rail en France. En raison de sa structure centralisée, à l’image des vieilles entreprises industrielles, les firmes publiques sont plus faciles à organiser pour un monopole syndical que leur contrepartie privée. On a pu observer cette implication de l’analyse dans les secteurs de l’éducation, de la construction, du transport, de la santé, des télécommunications, de l’agriculture et ailleurs.

Dans certains cas, c’est le législateur lui-même qui a imposé la formation d’un monopole professionnel de représentation, comme dans l’éducation, la santé, l’agriculture et les corporations professionnelles. Le syndicalisme est devenu, au Québec et ailleurs, un phénomène étatique. Alors qu’un employé du secteur privé sur cinq appartient à un monopole syndical au Canada, le pourcentage grimpe à trois sur quatre dans le secteur public.

Le dénominateur commun de la plupart des grèves qu’on observe au Canada est qu’elles surviennent dans le secteur public. Il ne se passe pas d’années sans qu’on soit témoin ou victime d’une grève des enseignants, des infirmières, des fonctionnaires, des diffuseurs de Radio-Canada, quelque part au Canada. Pas étonnant puisque le gros des monopoles syndicaux s’observe dans le secteur public.

Dans l’ensemble du pays, les employés publics comptent pour 18% de la main-d’œuvre mais pour plus de la moitié des jours perdus en grève dans une année type. Certains analystes estiment même que la production publique devient dans ce contexte, non  pas une activité au service de la population consommatrice, mais plutôt une machine à fabriquer des jobs et des conditions favorables aux syndiqués. (R. Breton, 1999).

Que se passe-t-il dans les secteurs ainsi cartellisés?  En l’absence de monopolisation du secteur, la menace toujours constante d’apparition d’employeurs libres de syndicats sert de frein aux demandes syndicales.  La crainte d’attirer des producteurs concurrents, advenant que les salaires et donc les prix s’élèvent démesurément dans les firmes syndiquées, contribue à modérer les ambitions du monopole syndical.

Par contre, si l’étatisation limite l’entrée de producteurs concurrents, la contrainte au gonflement des salaires s’en trouve supprimée aux yeux du monopole syndical. La poussée des salaires et la compression de l’emploi suivent par la force des choses. En général, les salaires des syndiqués du secteur public, composantes importantes du coût ou du prix, montent plus rapidement que ceux du secteur privé. (Ferris et West, 1999).

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Catégorie(s) : Économie du Québec Étiqueté : capitalisme, économie, étatisation, gouvernement, grève, industrialisation, modernisation, monopolisation, Québec, syndicalisme

Prétendues économies de frais d’administration dans le monopole public

Le 21 janvier 2016 par Jean-Luc Migué 1 commentaire

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Dans une perspective cartésienne, un régime de producteur public unique paraît plus simple. On a longtemps invoqué cet argument pour rationaliser l’étatisation. La suppression de la concurrence partout simplifierait a priori l’administration. Il en coûterait moins cher au distributeur d’essence s’il ne se trouvait qu’une station service par quartier ou par région, moins cher au super marché s’il n’existait qu’une variété de petits pois. L’ex-éditeur du New England Journal of Medicine fixait récemment à 150 milliards de dollars les économies à attendre de l’élimination des centaines d’assureurs qui servent le marché américain. Ces économies proviendraient, estime-t-il, de l’élimination des coûts administratifs, du profit, des frais de marketing.

Mais la question essentielle du débat pourrait se formuler comme suit : comment mesurer les frais administratifs pour établir une comparaison honnête? Le producteur public n’échappe pas aux fonctions qu’assume la firme commerciale. Il doit rembourser les fournisseurs de services, prélever les primes sous forme de taxes, exercer le contrôle sur leur utilisation. Aux frais directement comptabilisés, il importe donc d’ajouter le coût d’imposition et de prélèvement des taxes qui servent à le financer, de même que les fonctions de lobbying que constitue la course aux faveurs politiques. Des estimations ont été faites aux États-Unis pour identifier ces coûts cachés et les rapprocher de leur contrepartie publique associée aux programmes d’État  Medicare et Medicaid. Elles ont donné les résultats suivants : Les deux programmes publics affectent 27 cents à l’administration pour chaque dollar de prestation qu’elles versent, ce qui implique des frais administratifs de 66% supérieurs à ceux de leur contrepartie privée par dollar de bénéfice. Une fois redressées les fausses conceptions, il apparaît que le coût administratif des programmes publics est d’une fois et demie plus élevé que celui des programmes privés. Et ce calcul n’incorpore pas le coût économique des distorsions que toute forme de prélèvement coercitif implique.

Les gagnants de la monopolisation publique

Comme le veut toujours la logique du monopole public et au-delà d’une majorité qui se fait payer les services par la minorité, la santé socialisée exploite les contribuables au profit de quelques groupes d’intérêt particuliers: les bureaucrates et les offreurs de services, dont les puissants syndiqués du secteur public, qui forment ce qu’un analyste appelait déjà en 1983 « le cartel bureaucratique de la santé » (Rosa, 1983). Les contribuables ne disposent pas de l’information nécessaire au contrôle du monopole; faute de concurrence, ils n’ont pas le moyen de comparer les services de différents offreurs. Les employés du monopole par contre exploitent l’ignorance rationnelle des victimes pour se valoir des rémunérations excessives. L’un des traits distinctifs des régimes de santé socialistes est de réserver un rôle et un pouvoir accru aux planificateurs et aux dispensateurs de services, aux administrateurs d’établissement et au personnel regroupé dans des syndicats. La « paix sociale » repose plus sur l’intérêt des groupes organisés que sur la satisfaction des patients. Comme éléments du processus de production, ces regroupements jouissent aussi d’une information privilégiée, relativement aux usagers, et même à leurs mandants les hommes politiques. La monopolisation publique les protège contre la concurrence, conditionnement qu’ils exploiteront à leur avantage. Les rentes de situation introduites par l’assignation de budgets globaux qui consacre la rupture entre l’output produit et les recettes obtenues, illustrent le phénomène. Il n’est pas sans intérêt de noter qu’au Canada le souci de réformer le système s’est estompé depuis que le gouvernement fédéral a recommencé à injecter massivement des ressources fraîches dans le système. La suite de cette série établira l’identité des gagnants de la monopolisation publique.

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Catégorie(s) : Économie du Québec Étiqueté : économie, étatisme, gouvernement, monopole public, pouvoirs publics, Québec

Marché politique et marché économique

Le 4 décembre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-MarchePublic

Nous disposons déjà des éléments analytiques pour établir les caractéristiques particulières qui distinguent le marché politique du marché économique. Ce dernier repose d’abord sur l’engagement volontaire des parties à l’échange, tandis que le pouvoir de l’État repose sur la coercition. Toutes les parties à l’échange marchand y gagnent et la sanction contre les offreurs inefficaces est immédiate. L’intervention publique de son côté divise la population en gagnants, composés parfois de majorités parfois de groupes circonscrits, et en perdants, contribuables ou consommateurs. Et la sanction contre les politiciens prédateurs ne s’applique au mieux qu’à l’élection suivante, au pire ne vient jamais.

Dans un marché, le consommateur fait ses achats à la pièce, selon l’intensité de ses préférences et son revenu. Il peut les renouveler à volonté et délaisser les fournisseurs insatisfaisants. Quand il obtient un service de l’État, surtout en l’absence de référendums ou d’initiatives populaires, il doit forcément l’acheter « en bloc » du monopole public. Nous avons montré que l’offreur public combine les propositions en une seule, pour concentrer les bénéfices sur la majorité et en diluer le coût sur l’ensemble des contribuables ou des consommateurs rationnellement absents de l’échange. C’est la façon pour le politique de rallier plus de votes qu’il n’en perd. Le mandat du politicien s’étendant sur plusieurs années, l’électeur doit patienter tout ce temps pour le renverser.

Parce qu’il jouira de la bonne exploitation de ses ressources et qu’il pourra en disposer à son profit, l’exploitant commercial voudra en maximiser la valeur. Les ressources publiques ne sont la propriété de personne, certainement pas de l’homme d’État qui n’en est le gestionnaire que jusqu’à l’élection suivante. Le politicien n’a pas à se soucier de la valeur à long terme des richesses qu’il contrôle.

Le prix commercial exprime la rareté relative des biens et services qui s’échangent dans un marché. Il sert en même temps à canaliser les ressources vers ceux qui les valorisent le plus. Les taxes, qui sont la contrepartie du prix dans le secteur public, n’ont qu’une lâche relation avec la valeur des services que le contribuable obtient. L’intérêt de ce dernier est de consommer le maximum de voies publiques, de services scolaires, médicaux et hospitaliers, même s’ils n’en valent pas à ses yeux le « coût », acquitté d’avance. On comprend dès lors la généralisation des queues, du rationnement et l’épuisement des ressources désormais affectées d’un prix nul. Bien que les services étatiques se composent en grande partie de « biens non collectifs et donc divisibles », la tarification explicite à l’utilisateur touche moins de 3% des services offerts par Ottawa ou la capitale provinciale (environ 12 des services municipaux). Au total, l’échange marchand offre, mieux que le scrutin et l’action politique, aux destinataires ultimes de l’activité productive, une multiplicité de recours pour exprimer et combler leurs préférences.

Contribution du capitalisme à l`humanisme

Le dynamisme du vrai capitalisme lui vient, comme l’avait enseigné Hayek, de ce qu’il favorise les idées novatrices que les entrepreneurs traduisent en technologies profitables. Le régime alternatif (public) au contraire les repousse et les défavorise. D’autre part, les innovations du régime capitaliste découlent de ce que chacun dans ce contexte doit posséder des connaissances personnelles qu’il fera fructifier dans ses initiatives. Mais ce que Phelds dégage de son analyse fascine encore davantage. Le capitalisme dynamique impose aux gens de passer leur vie à résoudre des problèmes, ce qui réalise l’épanouissement personnel. C’est là aux yeux de l’auteur la contribution la plus grande du capitalisme à l’humanisme. De plus, il s’avère particulièrement bénéfique aux gens des classes de revenu inférieur, en leur donnant aussi à eux, non seulement un niveau de vie meilleur, mais l’occasion d’exercer leur créativité.

Aux yeux de l’analyste, l’avènement de cette grande coalition d’intérêts qu’on retrouve dans les « sommets » et les « États généraux », n’est donc ni réaliste ni souhaitable. L’hypothèse d’un consensus de cette nature n’augurerait rien de bon. Il ne pourrait s’établir qu’au détriment de groupes inorganisés ou pas encore existants. Les grandes coalitions ne se concrétisent que lorsque les victimes appropriées ont été ciblées. En général celles-ci se composent des contribuables ou des consommateurs. Alternativement, si un aménagement favorable à la productivité ou à l’innovation devait gêner les intérêts de l’une des parties à la coalition, il serait habilement écarté. Nous procéderons maintenant à l’étude de la domination des producteurs en faisant une revue partielle des deux formes distinctes de cartellisation publique, qui démontrera que, tout inefficaces qu’elles soient, ces mesures font gagner plus de votes chez les agents producteurs, qu’elles n’en font perdre chez les consommateurs ou les contribuables.

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Concurrence politique par l’échange entre les groupes d’intérêt

Le 21 octobre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-PolitEchang

Sans retenir la position limite retenue par Becker pour des fins de démonstration, on peut supposer qu’en régime démocratique les groupes de pression ne négocient pas nécessairement entre eux les échanges de faveurs qu’ils voudront obtenir. C’est plutôt le politicien qui assumera la tâche d’opérer ces arbitrages entre les groupes. C’est lui, le politicien, ou le parti politique qui exerce le rôle parallèle à celui du manager de l’entreprise commerciale dans la vaste entreprise monopolistique qu’est la décision démocratique.

Tout comme le manager de la firme est embauché pour promouvoir les intérêts des actionnaires, les politiciens et les bureaucrates sont embauchés pour promouvoir les intérêts collectifs des groupes de pression. Et justement, tout comme les managers commerciaux acquièrent du pouvoir de la séparation de la propriété et du contrôle (relation agent-principal), de même les politiciens jouissent de pouvoirs étendus en tant qu’agents des électeurs. Nous emprunterons donc une analyse plus générale pour incorporer le rôle de ces agents dans le marché politique.

Par analogie avec le manager de l’entreprise qui s’emploie à réaliser les intérêts des actionnaires, l’homme politique adoptera les programmes ou les lois les mieux réglées sur les intérêts des groupes actifs, les plus susceptibles d’apporter le support financier indispensable, de monter une publicité effective et souvent de susciter l’endossement de leaders éminents. Pour attirer l’appui électoral et réduire l’opposition au maximum, le politicien visera à concentrer les bénéfices de ses politiques dans de petits nombres rassemblés dans des groupes organisés et à en diluer le coût sur le plus grand nombre. La plupart des batailles politiques s’engagent sur des propositions qui n’intéressent que des regroupements circonscrits. Le politicien obtiendra par cette formule l’appui des gagnants, sans pour autant aliéner les perdants apathiques.

En réalité, on identifie dans le secteur public une approximation de ce qu’on associe à un marché. Les économistes le désignent par l’expression « échange de votes », qui traduit le terme américain « logrolling »; le discours populaire parle plutôt de participation. Supposé que toutes les décisions gouvernementales soient soumises au scrutin majoritaire direct. Chacun des citoyens voterait sur chaque mesure dans un référendum distinct, sans considération des décisions à venir ultérieurement ou prises antérieurement. Le théorème de la tendance centrale exposé précédemment s’appliquerait presque intégralement dans l’une ou l’autre des formulations que nous avons présentées. Cette théorie simplifiée expliquerait, à elle seule, presque toute la réalité politique. Les groupes d’intérêt circonscrits s’en trouveraient largement exclus. Par exemple, les agriculteurs qui comptent pour moins de trois pour cent de la population votante, ne parviendraient pas dans un référendum distinct à se faire octroyer des milliers de dollars chacun par les consommateurs qui en sont victimes. Pas plus que les contribuables n’accepteraient de se laisser exploiter par des monopoles publics factices, du type Loto Québec, Hydro Québec ou par les monopoles de la santé ou de l’éducation. L’octroi de faveurs à des groupes locaux ou minoritaires ne s’observerait que rarement.

En toute objectivité, il nous faut reconnaître que les projets de référendums, là où ils se pratiquent, renferment souvent le regroupement de multiples projets sans liens réels entre eux. Ces combinaisons n’ont de sens qu’en ce qu’elles obtiennent la faveur de la majorité, alors que chacune des composantes serait rejetée. Il s’agit manifestement d’une forme de « logrolling ». Il faut enfin ajouter que même les mesures les plus générales, tels les budgets de la santé ou de la défense, comportent des incidences différentielles sur les citoyens. Elles affectent certains individus plus que d’autres. Elles donneront donc lieu à des échanges implicites de votes.

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Méthodes indirectes et paradoxales des groupes d’intérêt en démocratie

Le 15 octobre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-SocieteNov15

Autre coût inhérent au marché politique en régime démocratique : les distorsions économiques introduites dans l’allocation des ressources par les taxes et les transferts suscités par les groupes. Mais tel que souligné par Garry Becker, par l’effet de ces mêmes distorsions, l’appesantissement fiscal découlant de l’action d’un groupe entraîne l’engagement de pressions accrues de la part d’un autre groupe, celui des contribuables ou des consommateurs, pour y résister.

Les distorsions inhérentes aux taxes et transferts inefficaces favorisent l’engagement d’efforts supplémentaires des contribuables en faveur de l’allègement fiscal, gênant ainsi les efforts des bénéficiaires en faveur de transferts accrus. Dans la mesure où les distorsions fiscales augmentent à mesure que le fardeau fiscal par tête s’appesantit, l’opposition des contribuables et des consommateurs aux faveurs des groupes s’amplifie. Le marché des influences politiques confère ultimement l’avantage à ces derniers dans la concurrence pour l’accès à l’influence politique. Le redistributionnisme en faveur des groupes d’intérêt comporte sa limite ultime.

Même dans un monde dominé par les groupes de pression, par opposition aux votants, aux bureaucrates ou aux politiciens, la pression reste donc constante en faveur de taxes et de transferts moins inefficaces. Cette tendance améliore à la fois la position des bénéficiaires de faveurs et des contribuables et consommateurs. Les groupes défavorisés par l’action politique qui abaisse l’efficacité jouissent d’un avantage intrinsèque ultime dans la concurrence, tout comme les groupes qui bénéficient d’activités qui élèvent l’efficacité ont finalement l’avantage sur ceux qui l’abaisseraient.

« La résistance des contribuables
et consommateurs à la hausse des taux
de taxation s’atténue lorsque les taxes
sont plus efficaces. »

Le corollaire implicite de la thèse Becker est que la redistribution qui s’opère sur une vaste échelle par l’action des groupes d’intérêt se fait de façon efficace. Les politiques redistributionnistes efficaces ont plus de chance d’être adoptées que les moins efficaces. La résistance des contribuables et consommateurs à la hausse des taux de taxation s’atténue lorsque les taxes sont plus efficaces. C’est par cette logique que Becker explique le recours à des méthodes indirectes et paradoxales d’octroi de faveurs. Par exemple, pourquoi passer par les tarifs douaniers ou les quotas contre les voitures japonaises pour offrir des salaires supra concurrentiels aux membres du monopole syndical de l’auto? Pourquoi ne pas opter pour le libre-échange des automobiles pour ensuite verser des allocations publiques directes aux employés en question. La réponse est qu’une fois le monopole syndical concédé par l’État, les distorsions économiques supplémentaires introduites par le protectionnisme s’avèrent moins lourdes pour la société que les pertes d’emplois et de salaires des membres du syndicat.

Mais le redistributionnisme par l’État en faveur des groupes les plus puissants ne s’en pratique pas moins sur une vaste échelle. L’interaction des lobbys d’intérêt accroît leur pouvoir et ultimement les budgets de taxes et de dépenses. C’est le sens d’une deuxième contribution de Becker (Becker et Mulligan 2003) à l’analyse économique de la politique. Même lorsque, pour hausser leur impact politique, les groupes favorisent l’efficacité dans la redistribution, ils se trouvent par la même occasion à gonfler le budget, et de dépenses et de taxes, et les régulations. C’est ainsi que la réforme fiscale associée à l’impôt proportionnel (flat tax) comporte moins d’avantages économiques que supposé, du fait de l’expansion consécutive du secteur public. De même les bénéficiaires de faveurs publiques intensifieront leur action politique si les subventions qu’ils reçoivent sont moins inefficaces. Donc par ce truchement, la taille de l’État s’élève aussi. L’aboutissement ultime en est que la taille de l’État grandit au-delà de l’optimum du fait même de la plus grande efficacité des groupes.

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Concurrence des groupes de pression

Le 8 octobre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-groupeInflu1

Pour isoler le rôle spécifique des groupes de pression, c.-à-d. pour des fins analytiques, Becker (1983) retient d’abord l’hypothèse que les votants ou les électeurs n’apparaissent pas directement dans le processus politique, même démocratique. Ils ne sont donc pas les déterminants essentiels de l’influence politique. Ils agissent surtout comme membres de groupes de pression ou comme objets passifs de la propagande des groupes auxquels ils se rallient. Ils ne font donc que transmettre les pressions des groupes actifs. Certains groupes sont plus habiles à « acheter » les votes même de citoyens qui n’appartiennent pas à leur groupe, tout comme certains votants sont plus faciles à persuader.

L’entrepreneurship en communication, manifeste dans les organismes environnementaux, confère à d’autres organisations une grande influence en dépit de leur taille modeste. On conçoit aussi que certains objectifs politiques soient plus faciles à promouvoir ou plus populaires que d’autres; on peut citer le nationalisme, la conservation et l’environnement, la santé, l’éducation, etc.

« Les gens peuvent être amenés
à associer une politique à des finalités nobles
et socialement désirables, plutôt qu’aux intérêts
des groupes particuliers. »

Les gens peuvent être amenés à associer une politique à des finalités nobles et socialement désirables, plutôt qu’aux intérêts des groupes particuliers qui en font la promotion; c’est le cas entre autres du salaire minimum, ou de l’autarcie en matière d’énergie et en général de ce que nous avons appelé la pensée groupiste. Parce qu’ils peuvent en quelque sorte acheter l’appui des votants, les groupes ne coopèrent pas, ne négocient pas entre eux, ni directement, ni par l’intermédiaire des politiciens qui agiraient comme managers de l’entreprise politique. Leur influence s’exerce directement sur les choix politiques. Les échanges de politiques sont exclus dans le schéma Becker.

C’est la concurrence des groupes de pression dans la recherche de faveurs publiques qui détermine ultimement la structure finale des taxes, des transferts ou des autres faveurs. L’équilibre ultime découle de leurs seules pressions directes sur les décideurs politiques. La distribution de l’influence politique n’est cependant pas fixe ni uniforme à travers tous les groupes; elle varie selon le temps et l’argent engagés par les groupes en contributions aux caisses électorales, en publicité politique, etc. Chacun des groupes maximise son revenu en affectant les efforts optimaux à l’exercice de pressions politiques. Pour chaque groupe de pression, les transferts obtenus en subventions de toute nature sont, à la marge, égaux aux coûts engagés par eux. Les groupes les plus habiles à exercer des pressions politiques jouiront dans ce contexte de fardeaux fiscaux réduits ou de transferts accrus.

L’un des coûts déterminants de l’action politique des groupes a déjà été souligné : il s’agit du contrôle des « passagers clandestins » (free riders). Seuls les groupes suffisamment habiles à limiter l’instinct des passagers clandestins deviennent politiquement puissants. Le faible nombre de leurs membres, leur homogénéité, ou le recours à des règles de décision autres que majoritaires, sont quelques unes des circonstances qui favorisent la formation de groupes influents. Les groupes les plus en mesure de surmonter cette « logique de l’action collective » exercent plus de pression politique et obtiennent ainsi plus de transferts ou jouissent de fardeaux fiscaux allégés. Par exemple, plus la taille du groupe est grande, plus cet obstacle à l’action politique se fait sentir et vice versa. Il est plus facile pour un groupe d’obtenir des transferts lorsque le nombre de membres qui le composent est faible relativement au nombre de contribuables ou de consommateurs. C’est ainsi que Becker explique entre autres la domination historique des agriculteurs sur le marché politique dans les pays riches et la domination des citadins dans les pays pauvres, où l’agriculture (en Afrique et même en Chine) subit un lourd fardeau fiscal.

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : action collective, Etat, gouvernement, influence politique, politique, pouvoirs publics, Québec, société, système politique, votants

Le revenu par habitant au Québec, comparable au reste du Canada

Le 1 octobre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLMigue-RevenuQ1

Le paradoxe est donc que, malgré l’évolution déprimante de la croissance globale du Québec depuis les années 60, le revenu par habitant s’inscrit chez nous au même niveau que dans le reste du Canada. Pourquoi ce contraste entre la faible croissance globale de l’économie québécoise et la hausse du niveau de vie égale à celle de l’ensemble du Canada? Pour une raison simple : lorsque le revenu par habitant baisse dans une province, les gens quittent cette région et les immigrants y affluent en moins grand nombre.

L’offre de main-d’œuvre décline jusqu’à ce que le salaire moyen y gagne au même rythme que dans les régions plus prospères du pays. Ce processus de migration se poursuit donc jusqu’à ce que le revenu réel par habitant converge dans toutes les régions. Ainsi, bien que le produit intérieur brut nominal par habitant au Québec soit inférieur d’environ 15 % à celui de l’Ontario, le coût de la vie s’inscrit en 2006 à Montréal à 14,6 % en-dessous de celui de Toronto. Les Montréalais gagnent moins en dollars nominaux, mais ça leur coûte moins cher de se loger et dans les mêmes proportions. La divergence des taux de croissance globale entre les deux villes a donc été entièrement capitalisée dans le prix du sol et des ressources fixes. Les ajustements inter régionaux se sont faits par la mobilité de la population, non pas par l’élargissement du revenu réel moyen entre les régions canadiennes. C’est donc en dépit de la révolution tranquille que le niveau de vie des Québécois s’est aligné sur celui du Canada, non pas en conséquence de ce mouvement, comme l’enseigne incorrectement l’interprétation conventionnelle.

Cette conclusion s’avère valide dans toutes les économies nationales. La convergence du revenu réel par tête dans les pays intégrés est documentée aussi aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France et au Canada. De 1920 à 2000, les variations du revenu par tête à travers les États-Unis ont fortement diminué sous l’effet de mouvements variables de la population. La part de la population de l’ouest a presque triplé, pendant que des déclins prononcés se produisaient dans le Northeast et le Midwest. Les économistes ont démontré en contrepartie que la distribution du revenu par tête s’est rétrécie dans ce pays au cours du vingtième siècle. En fait, à la fin du XXe siècle, la dispersion du revenu réel par travailleurs s’avérait extrêmement réduite. Pour une moyenne nationale de 100, les variations interrégionales s’étalaient de seulement 96 à 105 en 1980.

Les variations interrégionales de revenu en Angleterre s’avèrent aussi étroitement distribuées, une fois incorporées les variations interrégionales du coût de la vie.

En général, les régions rurales affichent un revenu moyen inférieur à celui de Londres dans les statistiques officielles. Mais l’égalisation se réalise à travers les deux types de territoires pour des occupations semblables. Les analystes de l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) résument comme suit les résultats de leurs travaux sur le revenu régional en France: “Les différences de niveaux des prix entre Paris et le reste du pays sont du même ordre de grandeur que les différences de niveaux des rémunérations”.

Cette dispersion rétrécie a accompagné d’importants mouvements de la population canadienne : baisses marquées dans les provinces atlantiques et le Québec, en même temps qu’accroissements prononcés de la part de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie Britannique. Tel que souligné précédemment, la part québécoise de la population est restée constante à 29% de 1941 à 1966, mais affiche par la suite une tendance négative constante, pour atteindre 23,1% en 2011. Au total, les données confirment que l’intégration économique liée au commerce, à la migration et aux ajustements du marché du travail, mène à l’égalisation du revenu personnel réel, non pas à des différences de prix ou de revenus.

Ce qui signifie en passant que la péréquation n’a aucun fondement. Il faut savoir que la péréquation est un régime institué par le gouvernement fédéral dans l’après-guerre, par lequel le gouvernement d’Ottawa verse aux provinces dont le revenu par habitant est inférieur à la moyenne canadienne, des allocations qui leur permettraient d’offrir les mêmes services publics que les provinces prospères. Le Québec touchera près de 9.3 milliards en 2015-16 en vertu de ce programme. Mais puisque le revenu réel par tête dans les occupations semblables converge dans toutes les régions canadiennes, ces versements n’ont aucun fondement.

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Catégorie(s) : Économie du Québec Étiqueté : capitalisme, économie, émigration, gouvernement, Québec, société

Domination du votant médian

Le 17 septembre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-DominVotant

Les résultats du processus budgétaire ou réglementaire seront déterminés par le régime de sanctions et de récompenses qui encadrent les acteurs, votants, hommes d’État et bureaucrates, tout comme l’aboutissement du marché dépend des incitations qui s’exercent sur les consommateurs et les producteurs. L’examen du contexte institutionnel dans lequel s’inscrivent les choix publics constitue donc une démarche absolument essentielle à la compréhension de la place effective des pouvoirs publics dans la société.

L’économiste identifie la finalité des politiques et des institutions, non pas par les déclarations des politiciens ou le préambule des lois, mais par leur incidence effective sur le revenu des intéressés. Or, la règle première de la logique démocratique, formellement énoncée il y a plus d’un demi-siècle par Downs (1957), est de répondre aux préférences de la majorité.[1][1] C’est d’abord en conférant des bénéfices à la majorité sur le dos d’une minorité que la victoire électorale se gagne en régime de scrutin majoritaire (Buchanan et Tullock, 1962, Buchanan et Congleton, 1998 et Tullock, 1976). Le souci premier, pour ne pas dire exclusif de l’homme politique, est de gagner la course électorale et donc d’adopter la plate-forme la plus favorable au votant majoritaire, le votant médian. C’est sa façon de gagner sa vie. Comme l’homme d’affaires vis-à-vis les acheteurs, le politicien adoptera les politiques qui lui vaudront la reconnaissance du votant médian.

La demande de services publics dépend d’abord du fardeau fiscal que chaque votant s’attendra d’assumer à différents niveaux de services. A cet égard, à mesure que la quantité de services s’élève, chacun atteindra un point où il juge que l’addition de service n’en vaut plus le coût. Selon les préférences de chacun, ce niveau variera. A un prix fiscal identique, certains en voudront plus, d’autres moins. On découvre en première approximation du vote direct à la majorité que seul le votant médian (la personne au centre de la distribution) réalisera sa préférence optimale. Les votants les plus friands du service seront frustrés de n’en avoir pas assez, les votants les plus tièdes vis-à-vis du service, d’en avoir trop. C’est le sens du théorème du votant médian, où l’on compte autant d’individus qui en voudraient davantage que d’individus qui préféreraient en avoir moins. Il jouit empiriquement d’un pouvoir prédictif énorme dans toutes sortes de domaines, depuis les budgets scolaires, jusqu’aux politiques environnementales, etc.

La politisation biaise le choix public dans une première direction précise. La distribution du revenu est universellement asymétrique (il y a plus de familles qui font un revenu inférieur à la moyenne qu’il y en a qui font plus que la moyenne), c.-à-d. la majorité des familles fait un revenu (d’environ 55 000 dollars par année ou moins) inférieur à la moyenne (d’environ 73 000 dollars par année)[2][2]. La logique du votant médian peut alors se formuler dans les termes de Meltzer et Richard (1978, 1981, 1983). Les gens demandent la combinaison de taux d’imposition et de transferts (en argent ou en services) qui maximisent leur bien-être. Les individus dotés d’une productivité et donc d’un revenu inférieurs à la moyenne, c.-à-d. la majorité, opteront pour des taux d’imposition réduits et des services publics gonflés. A la limite, certains individus ne travaillent pas ou ne paient pas d’impôt sur le revenu; c’est le cas de 44% des individus dans la province de Québec. Ils seront particulièrement portés vers cette option. Donc les gens au revenu inférieur, qui forment la majorité, accorderont leur vote au candidat qui propose l’allègement du fardeau fiscal pour eux et son alourdissement pour les revenus moyens supérieurs. Entre autres, c’est en étatisant de vastes pans de l’activité économique et en recourant au financement public qu’on gagne les élections. Même si rien ne devait changer à la qualité ni à la quantité de services pris en charge par le gouvernement, une majorité de votants appuiera l’étatisation, uniquement parce qu’elle en tire des transferts de richesse de la minorité. La taille de l’État grossira

[1][1] En réalité, Condorcet, au siècle des lumières, avait déjà énoncé la thèse, mais avant l’implantation méthodique de la démarche public choice dans les années 1960, il est tombé dans l’oubli.

[2][2] Statistique Canada, Income in Canada, catalogue 75-202-XIE.

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : bureaucratique, classe moyenne, Etat, famille médiane, partis politiques, politique, pouvoirs publics, Québec, revenu médian, société

Ignorance rationnelle des votants

Le 9 septembre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLMigue-IgnorVotant

Le monde politique réel est plus complexe et implique plus que le geste de voter. C’est surtout ici que s’insère une proposition centrale que nous avons désignée comme l’ignorance rationnelle. Dans un régime de scrutin majoritaire, la plupart des votants choisiront de ne pas investir le temps, l’argent et l’énergie requis pour poser un vote éclairé.

Le processus qui mène aux décisions politiques n’est pas gratuit. La démocratie représentative plutôt que directe, par laquelle on délègue à des élus le soin de prendre les décisions à notre place, est née justement du souci d’économiser les frais de l’action politique. Au Canada, le taux de participation au scrutin fédéral est tombé de 75 pour cent aux six élections postérieures à 1945 à environ 60 pour cent dans les six dernières courses électorales. Le taux a décliné davantage aux élections provinciales, soit une chute d’environ 20 pour cent dans les quarante dernières années. A 35 jours de l’élection fédérale de 2004, 16% des électeurs ne connaissaient pas le nom du premier ministre du Canada. Moins de quarante pour cent des votants peuvent distinguer les notions de “droite” et de “gauche” en politique, et quand ils le peuvent, c’est d’une façon vague et nébuleuse. Ainsi, après l’élection fédérale de 2 000, c’est moins du tiers des électeurs qui plaçaient le NPD à gauche du spectre politique, et l’Alliance Canadienne à sa droite. Le tiers aussi s’avérait incapable d’identifier une seule promesse électorale des partis en lice (Vallis 2005). Au cours de la campagne de 1997, près de 60% de la population était d’avis que les Amérindiens jouissaient d’un niveau de vie comparable au reste de la société canadienne.

Les votants réalisent que leur vote n’est jamais décisif sur l’issue politique d’un scrutin majoritaire. Et de toute façon, le bénéfice qui en résulterait est de nature collective plutôt que personnel; il profite aux voisins autant qu’à soi-même. Chacun se dit que l’issue d’une élection n’est aucunement liée au fait que son vote soit éclairé ou pas. Il restera donc rationnellement ignorant de l’impact sur lui et sur la société d’une mesure gouvernementale particulière comme de l’ensemble de la plate-forme des partis. Le citoyen moyen est mieux informé sur la performance de la voiture qu’il achète que sur les quotas d’importation de voitures japonaises. D’une façon générale, il s’adonnera peu à l’activité politique, parce que la « logique de l’action collective » le convainc qu’il ne peut individuellement rien changer aux décisions publiques. (Olson 1965, Moe 1980)

Privés d’une connaissance directe de la substance des politiques, les gens s’en remettront souvent à des critères substituts comme l’idéologie, le charisme ou la popularité des leaders. Même si au total l’enjeu est grand, les gens votent mal et restent politiquement apathiques. On retrouve ainsi la majorité silencieuse. L’idéal proposé par les bien-pensants est que le vote devienne obligatoire et que les gens s’engagent à fond dans l’action politique, même à l’encontre du principe de la rationalité. La raison avancée : la participation au scrutin n’est pas un sujet d’intérêt strictement individuel mais collectif. Selon eux, sous le régime de libre scrutin, les élections ne sont pas l’expression représentative de l’opinion publique. Le vote constitue une obligation civique que chacun doit à ses concitoyens. Le scrutin libre est biaisé en faveur des personnes âgées, des blancs et des plus hauts revenus. Il est surtout biaisé parce que les partis politiques concentrent leurs efforts électoraux sur des clientèles cibles susceptibles de voter. Le dossier international sur la question est clair, reconnaissons le. Les Australiens votent à 90 pour cent, plutôt qu’a 58 pour cent, depuis l’adoption de la règle obligatoire en 1924. Mais on comprend maintenant qu’ils le font au prix d’une hiérarchisation irrationnelle de leurs ressources.[1]

Les médias évoluent pour répondre à ce défaut d’intérêt pour la chose publique. Les journaux et les ondes présentent peu de nouvelles de fonds et les analyses qu’on y trouve ne suscitent que peu d’intérêt. Ce qu’on y trouve en abondance par contre, ce sont des reportages sur les tribulations et les gloires des célébrités, sur les performances des produits et en général sur les sujets de nature utilitaire pour les individus et qui les divertissent. La logique de l’ignorance rationnelle prédit que la plupart des lecteurs ou spectateurs choisiront de ne pas investir dans la connaissance de la chose publique. Les émissions d’affaires publiques les plus réputées attirent un auditoire infime. La proportion des lecteurs de quotidiens se rétrécit. Les recherches qui se font sur l’Internet témoignent de cette prédilection généralisée pour les données qui divertissent ou qui facilitent les décisions de vente et d’achat, plutôt que pour les informations qui éclairent le sens du vote et des autres décisions collectives. (Hamilton, 2004).

[1]Une démarche récente tend à atténuer l’impact de la logique collective (Oberholzer-Gee et Waldfogel, 2005). Les groupes qui composent une fraction plus large de la population (la classe moyenne en particulier) ont tendance à participer davantage au scrutin. La raison en serait que les médias affectent plus de temps aux questions qui touchent des auditoires plus larges et ainsi contribuent à mobiliser les grands groupes.

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : partis politiques, politique, pouvoirs publics, Québec, système politique, votants

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JEAN-LUC MIGUÉ

Jean-Luc MiguéÉconomiste canadien. Maitrise de l’Université de Montréal. Ph.D. de The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Il a été professeur à l’Université Laval et est Professeur émérite à l’École nationale d’administration publique (ENAP).
Canadian economist. Master’s Degree, Université de Montréal. Ph.D., The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Was professor at Université Laval. Is now Professor Emeritus, École nationale d’administration publique, (ÉNAP) Quebec City.

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