Aux yeux des fanatiques de l’anti globalisation, les multinationales incarnent l’essence de «l’exploitation» capitaliste. La raison qu’ils invoquent est précisément ce qui fait leur force et ce par quoi elles apportent la plus grande contribution au bien-être des populations du monde sous-développé comme de nos économies industrialisées. Dans la perspective étatiste courante, tout ce qui gêne la discrétion des gouvernements nationaux et locaux est à déplorer. Or les multinationales, plus que leurs semblables locales, contrecarrent par leur mobilité le discrétionnaire des décisions publiques. A ce titre, elles représentent une force de résistance au poids de l’État.
Des 100 plus grandes économies du monde présent, il s’en trouve 47 qui sont des États nations. Les 53 autres sont des entreprises multinationales. C’est ainsi qu’Exxon Mobil Corp., la plus grande société mondiale par ses ventes, touche des revenus annuels supérieurs au PIB des 220 pays du monde, à l’exception des 20 plus grands d’entre eux. (Gabel et Bruner, 2003) La population mondiale des multinationales atteignait les 62 000 unités en 2000, accroissement de neuf fois supérieur aux 7 258 unités qu’on recensait en 1969. Dans les cent ans qui ont précédé, leur nombre avait à peine triplé. Elles et leurs filiales embauchent 90 millions d’employés à travers le monde et versent plus de 1,2 mille milliards en taxes aux gouvernements. Les investissements étrangers directs ont explosé dans les 30 dernières années pour atteindre les 112 milliards de dollars, de 6 milliards qu’ils représentaient. Cet aboutissement résulte du progrès des communications, des relations bancaires et surtout de l’abaissement des tarifs douaniers.
Les multinationales possèdent deux caractéristiques, relativement à leurs contreparties nationales: elles sont plus efficaces, ce qui leur permet d’offrir des conditions plus avantageuses à leurs employés, et elles déplacent leurs investissements et les emplois plus allègrement en fonction de leur rentabilité. En Amérique comme en Asie, la probabilité de fermer boutique lorsque les conditions l’imposent est plus élevée pour les multinationales que pour les firmes locales (de 20% en Indonésie et de 3% en Amérique). (Bernard et Sjoholm, www.nber.org/papers/w10039) Par l’effet de cette caractéristique, elles peuvent plus facilement se soustraire aux caprices des politiques nationales redistributionnistes. L’ensemble de la population a tout lieu de se réjouir de cette incidence. Les groupes d’intérêt qui s’alimentent aux budgets publics et les activistes s’en indignent.
Il faut savoir ce qu’ont en tête les activistes lorsqu’ils parlent de dictature «libérale» mondiale. Leur premier homme de paille réside dans la toute puissance de ces multinationales. La grande erreur initiale de la pensée reçue est de croire que les hommes d’affaires sont les premiers défenseurs de la libre entreprise. Le fait est que dans la mesure où les gens d’affaires s’engagent en politique, ils épousent comme les autres intervenants une version quelconque du redistributionnisme en faveur de groupes particuliers, quand ils ne se font pas carrément les promoteurs de l’alarmisme écologique fanatique. La position pro libre entreprise ne saurait se confondre à la thèse pro business. La plupart des anti globalistes de leur côté appartenant au secteur public ou aux monopoles syndicaux, ils n’ont pas idée de la force de la concurrence dans un monde global dynamique et novateur. La concentration industrielle diminue, et donc la concurrence s’intensifie avec la globalisation. Contrairement aux enseignements du célèbre fumiste que fut John Kenneth Galbraith dans les années 60 à 80, ni les entreprises ni les multinationales ne sont devenues plus puissantes que le marché. La moitié des firmes qui figuraient dans la liste de Fortune 500 en 1980 étaient disparues en 1990. Grâce à la réglementation d’État, les propriétaires de taxis de Sainte-Foy (et d’ailleurs) jouissent d’un pouvoir économique supérieur à la plus puissante des multinationales. Nous en voulons pour preuve le fait que le prix des services de taxi est de 40% et plus supérieur au coût de production. La valeur (artificielle) d’un permis s’établit autour de 75 000$. En d’autres termes, dans un marché non protégé, la valeur des permis tomberait à zéro et les prix de plus de 40%, sous la pression des nouveaux venus qui envahiraient leurs platebandes. Au Canada les salaires des syndiqués sont de plus de 30% supérieurs au salaire concurrentiel (de 18%, une fois normalisés); les prix agricoles réglementés, souvent de plus de 100% supérieurs au prix concurrentiel. À part dans les monopoles publics, on ne connaît pas de producteurs qui peuvent empocher en permanence une rente de cette ampleur.
La virulence de cette mixture d’intérêts de la gauche et des syndicats en particulier, qui manifestent contre le capitalisme mondial, témoigne du fait qu’ils ont perdu la guerre. Il faut s’en réjouir. Les manifestants de Seattle, de Québec et de Doha dirigeaient leurs attaques contre ce qu’ils percevaient comme la domination américaine. Toute cette engeance qui s’institue défenseur de notre bien-être sans invitation, manque ainsi la réalité d’une évolution fondamentale: S’il est vrai que 60% des plus grandes corporations du monde avaient leur base aux États-Unis en 1962, seulement 185 des 500 plus grosses multinationales ont aujourd’hui leur siège social dans ce pays. L’Union Européenne en compte 126, le Japon 108. La cimenterie mexicaine Cemex se range parmi les trois plus grandes.