Jean-Luc Migué, économiste Institut Fraser Profession émérite, ENAP Quebec

Senior Fellow, Institut Fraser et professeur émérite, ENAP - Senior Fellow, The Fraser Institute and professor Emeritus, ENAP, Québec.

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Régulation du travail et monopolisation syndicale au Québec

Le 31 mars 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Les énormes pertes issues des réglementations sectorielles généralisées dans l’agriculture, les transports, les communications, etc., ne perdent leur caractère dramatique que lorsqu’on les compare à la succession d’interventions réglementaires et fiscales qui se sont abattues sur la main-d’œuvre depuis 40 ans. Normes arbitraires du travail, dont le salaire minimum, préavis de licenciement, discrimination active, qui repose sur le sexisme et le racisme en ce que l’assignation des personnes se fait, non plus en fonction des talents de l’individu, mais plutôt de la couleur de sa peau ou du sexe, renforcement des monopoles syndicaux (le taux le plus élevé de monopolisation syndicale du continent), fiscalité du travail, alourdie de 530% depuis 1980. L’aboutissement est incontournable: le marché du travail est bloqué: le chômage se maintient à des niveaux en permanence alarmants.

Si on exclut les règles qui régissent la sous-traitance, le Québec est affublé du marché du travail le plus rigide en Amérique du Nord. C’est ce qu’établit une récente étude de l’Institut Fraser (Fraser Forum, septembre 2004), qui compare la performance du marché du travail au cours des années 1998-2002, à travers les 10 provinces canadiennes et les 50 États américains. L’étude met en parallèle quatre critères de performance du marché de l’emploi: 1. Le taux de chômage, à 9,1%, place le Québec au 53e rang sur 60 juridictions; 2. Le Québec est bon dernier des 60 juridictions pour la durée du chômage pour ses victimes, à 26,8 semaines (11,1 en Alberta, 20,8 semaines en Ontario); 3. La productivité du travail ou la valeur de la production réalisée par travailleur, à 64 282$, (91 565 en Alberta, 72 571$ en Ontario), place le Québec à la 52e place en Amérique; la productivité moyenne des travailleurs dans les juridictions les plus syndiquées s’inscrit à 64 888$, tandis qu’elle se hissait à un niveau de 30% supérieur (83 945$) dans leurs contreparties moins syndiquées ;  4. En matière de croissance de l’emploi dans le secteur privé, 6 provinces (dont l’Alberta et l’Ontario) font mieux que le Québec, en dépit de la bonne conjoncture générale du Canada relativement à l’économie américaine pendant cette période.

Au total donc, l’indice global de performance place le Québec au dernier rang des provinces canadiennes (10e rang) avec un score de 1,9 sur 10,0 et au 55e rang sur 60 dans le classement Canada-USA. Seules l’Ontario (5,5), l’Alberta (7,5) et le Manitoba (5,1) obtiennent au Canada une note de passage, c.-à-d. supérieure à 5,0.

Hausse de salaires des syndiqués, baisse de l’emploi

Demandons-nous maintenant pourquoi ce piètre bilan s’observe. Il faut poser au départ que le marché du travail ne diffère pas essentiellement du marché des « peanuts ». Lorsque le prix du travail s’élève, les employeurs en achètent moins. On engage moins de briqueteurs à $32, qu’à $18. Les salaires syndiqués élèvent le coût de la main-d’œuvre et donc de la production, dépriment l’emploi et forcent les candidats déboutés à se déverser dans les secteurs non syndiqués, où ils tirent les salaires vers le bas et le chômage vers le haut. Ce sont donc les non syndiqués (et ultimement les consommateurs) qui en portent le coût en emplois et salaires réduits. Or au cours des quarante dernières années, le marché du travail a été marqué par une succession ininterrompue d’interventions publiques qui ont eu pour double effet d’alourdir le coût du travail pour les employeurs et d’en déprimer le  rendement pour les employés. L’aboutissement est incontournable: la croissance de l’emploi se ralentit et le chômage se maintient en permanence à un niveau supérieur. Au Canada, les salaires des syndiqués sont de plus de 30% supérieurs au salaire concurrentiel (de 18 à 20%, une fois normalisés en fonction de la formation et de l’expérience des travailleurs).

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Réglementation, avantages pour les producteurs, fardeau pour les consommateurs

Le 25 mars 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Le fardeau administratif direct que représente l’armée de fonctionnaires qui s’activent à la tâche de nous contrôler ne comprend qu’une fraction minime du coût global de ce déchaînement bureaucratique. On conçoit que les membres de l’industrie régulée, propriétaires, managers et syndiqués organisés, se fassent les protagonistes enthousiastes de cette conspiration et que le politicien se montre attentif à leurs pressions. La création du cartel a pour effet de transformer une industrie concurrentielle en monopole. Toutes les réglementations sectorielles qui ont de tout temps perpétué des raretés coûteuses et des prix artificiellement gonflés s’inscrivent dans la même logique. On recouvre ainsi les industries agricoles (lait, volailles, céréales et oeufs au Canada), celles du camionnage (historiquement), du taxi, de la téléphonie et de la radiotélévision, des institutions financières. La collusion implicite est imposée à tous les membres par la régulation. La formation d’un cartel est en principe une opération illégale, sauf si elle se fait avec l’assentiment du législateur, et même grâce à ses bons offices. C’est le ministère lui-même qui se fait garant de sa mise en œuvre et de sa permanence.

La fixation des prix est tentante pour les politiciens parce qu’elle se fait surtout aux dépens du grand nombre de consommateurs qui écopent chacun d’un fardeau si minime qu’ils n’ont pas le souci de s’engager dans une résistance organisée. Au prix de quelques centaines de dollars par année imposés à la masse de consommateurs de lait, de services de télécom ou de taxis, chacun des quelques milliers d’offreurs encaisse un revenu supplémentaire qui peut atteindre des milliers, voire des dizaines de milliers de dollars. Même la réglementation des ressources environnementales ne se comprend souvent que comme le moyen de protéger les producteurs organisés et les bruyants écologistes sur le dos de la population. Ainsi, la suppression des titres de propriété sur l’eau réservés historiquement aux riverains a valu pendant la première moitié du XXe au complexe industrialo-syndical l’accès gratuit à cette précieuse ressource devenue conséquemment le dépotoir privilégié des industries. La pratique discriminatoire d’imposer des normes environnementales uniformes a valu aux grosses entreprises syndiquées des avantages concurrentiels énormes, du fait qu’il en coûte jusqu’à dix fois plus cher aux petites et moyennes entreprises de satisfaire à une même norme. Dans chacun de ces cas, on pourrait démontrer qu’en dépit du fait que la somme des pertes des consommateurs l’emporte de loin sur la somme des gains des producteurs, le caractère concentré des intérêts des producteurs fait qu’il s’avère politiquement rentable de leur donner la priorité.

L’Institut Fraser calcule que la seule régulation fédérale ajoute annuellement plus de 60 milliards au coût des biens et services que le consommateur doit supporter. C’est environ 6 500$ de déboursés supplémentaires pour la famille canadienne moyenne. Combiné à la multitude de décrets provinciaux tout aussi envahissants, et qui touchent toutes les dimensions de nos vies, depuis la largeur des échelons d’une échelle en milieu de travail jusqu’à l’horaire des arrosages sur nos pelouses, on découvre que le fardeau sur la famille moyenne s’approche des 13 700$ par année.

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Mesure du fardeau réglementaire au Canada

Le 17 mars 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Fardeau administratif  issu du gouvernement canadien

Sait-on qu’Ottawa à lui seul, ajoute chaque année près de 1 200 nouvelles réglementations à son arsenal de contrôle? C’est plus de 5 000 pages de nouvelles contraintes par année, plus de 3 pages et demie chaque jour de l’année. Selon le Conseil du Trésor, ce n’est pas moins de 640 000 employés du secteur public, fédéral, provincial ou municipal, qui s’activent à temps complet à rédiger et appliquer les régulations. Et donc pas moins de 20% des fonctionnaires des gouvernements, des hôpitaux, des municipalités et des commissions scolaires, qui sont affectés à cette tâche. La régulation est aussi camouflée en ce que la plupart du temps elle est soustraite à l’approbation du Parlement et donc n’apparaît nulle part au budget public. Seulement 20% des régulations fédérales émanent du Parlement. C’est le Cabinet fédéral ou la myriade d’agences fédérales (la Commission de la Radio Télévision, l’Agence de la sécurité aérienne, Transport Canada) qui proclament le reste, de l’autorité qu’ils n’ont pas. Noter que cette tradition ne déplaît pas aux législateurs. Elle leur évite d’avoir à prendre position eux-mêmes sur une multitude de sujets controversés.

Fardeau administratif issu du gouvernement québécois   

En 2003, on comptait environ 473 lois et 2345 règlements au Québec. Ces documents couvraient 15 000 et 21 000 pages respectivement. Les lois et règlements adoptés dans la seule année 2002 faisaient 8 789 pages de la Gazette officielle. De 1975 à 1980, c’est entre 7 000 et 8 000 pages de textes qui étaient adoptées chaque année. La moyenne a baissé à environ 6 000 dans les années 80, pour remonter de plus belle à 7 500 par la suite.

Les entreprises québécoises doivent se conformer, chaque année, à une multitude de formalités administratives, demandes d’autorisation, immatriculations et production de rapports. Au total, ces formalités donnent lieu à plus de 17 millions d’opérations. Nonobstant les prétentions du gouvernement québécois d’avoir allégé ses exigences réglementaires après le rapport des années 80 sur la déréglementation, de nouvelles contraintes réglementaires sont apparues en grand nombre depuis, notamment en matière d’emploi en général, et de prétendue «équité dans l’emploi» en particulier. Le rapport sur la déréglementation estimait que plus du tiers de l’économie québécoise tombait sous le coup de réglementations directes en matière d’entrée dans l’industrie, de quantité produites et de prix et salaires.

La contrepartie de cette armée de fonctionnaires publics se retrouve dans les entreprises, où, selon la Chambre de Commerce du Canada,  pas moins de 300 000 travailleurs (près de 3% de la main-d’œuvre privée) sont affectés à la tâche de s’astreindre aux millions de régulations fédérales et provinciales présentement en vigueur. Constatons enfin, avec le Groupe conseil sur l’allègement réglementaire (Lemaire), que les petites entreprises québécoises consacrent environ 15% de leurs revenus au traitement des formalités administratives fédérales et provinciales.

On peut aussi mesurer le fardeau de la régulation par son contraire: la dérégulation. Une étude s’emploie à examiner des épisodes de dérégulation survenus dans 7 industries (le transport aérien, le camionnage, le chemin de fer, les télécommunications, la poste et l’industrie du gaz et de l’électricité), dans 21 pays industriels, au cours de la période allant de 1975 à 1996. L’indice de régulation (difficulté d’entrer dans l’industrie, contrôle des prix, place de la propriété publique) retenu démontre que la régulation strictement industrielle a effectivement diminué au cours de la période, surtout aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande. L’étude établit que la dérégulation a donné lieu à une expansion phénoménale des investissements dans les industries ainsi libérées, en conséquence de la baisse de prix et de la demande accrue, ainsi que par l’effet d’abaissement des coûts administratifs pour les firmes. En diminuant la régulation de 15%, on suscite l’expansion des investissements de 6 à 7%.

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Catégorie(s) : Articles Étiqueté : économie, fardeau administratif, fronctionnaires, gouvernement, régulation

La régulation étatique, fardeau camouflé aux consommateurs

Le 10 mars 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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On associe la plupart du temps l’interventionnisme d’État à la fiscalité et aux budgets de dépenses, dont la monopolisation publique directe. À bon droit. Mais la coercition d’État s’étend bien au-delà du poids fiscal. Il y a en particulier la régulation qui s’avère aussi lourde. Et la critique économique s’applique tout aussi bien aux activités réglementaires qu’aux budgets publics.

On entend par régulation l’imposition, par les gouvernements, de contrôles sur à peu près toutes les dimensions des entreprises et de nos vies professionnelles et personnelles, depuis nos contrats de mariage jusqu’à la grosseur des ouvertures dans les tétines de biberons d’enfants, aux images qu’on a le droit ou pas de regarder à la télévision, en passant par la quantité de lait qu’on a le droit de produire. La signification profonde de ce mécanisme réside dans le pouvoir qu’elle confère aux offreurs de se soustraire à la concurrence. C’est le régulé qui «capture» le régulateur et l’amène à régler ses décisions sur l’intérêt des producteurs aux dépens des consommateurs.

Toutes les régulations sectorielles qui concèdent le monopole à des entreprises particulières et perpétuent des raretés coûteuses et des prix artificiellement gonflés s’inscrivent dans la logique du transfert de richesse aux dépens des consommateurs. A l’ère de l’internet, le CRTC décrète en 2006 qu’il sera illégal pour les monopoles locaux de téléphone d’abaisser leur prix pour rivaliser avec la téléphonie par câble[1][1]. Il est interdit aux banques étrangères de concurrencer leurs contreparties canadiennes, à moins de constituer une entité distincte de la maison mère. La loi interdit la vente de margarine couleur beurre au Québec et les supermarchés doivent limiter leur personnel à quatre employés aux heures tardives du week-end pour protéger les dépanneurs. Wall Mart est victime d’un véritable jihad. Dans ses effets, cette forme de cartellisation, rappelons le, se distingue de la monopolisation publique pure en ce qu’elle diffuse le fardeau sur les consommateurs plutôt que sur les contribuables. Les industries les plus touchées se retrouvent dans l’agriculture (lait, volailles, céréales et œufs), dans l’industrie du taxi, de la téléphonie et de la radiotélévision, des institutions financières, de l’énergie dont le gaz naturel, dans le logement par le contrôle des loyers et, bien sûr, dans tout le marché du travail.

Jusqu’au milieu du dernier siècle, la population n’attendait pas grand-chose du gouvernement. Chacun pouvait mener sa vie suivant les principes personnels dictés par ses croyances et les contraintes qui l’encadraient. Les lois en vigueur n’affectaient pas immédiatement la vie des individus, ni celle de leurs entreprises. L’individu qui menait une vie honnête et s’employait à subvenir aux besoins de sa famille était jugé bon citoyen. Parce qu’elle vivait sous un régime de gouvernement limité, la population n’avait pas lieu de blâmer le gouvernement de ne pas régler les problèmes qui ne le regardaient pas. Cette convention implicite s’est rompue le jour où le législateur s’est avisé de poser que tout relevait désormais de sa responsabilité.

Désormais que les gouvernements prennent parti dans les affrontements qui divisent la population dans des matières morales qui touchent les gens dans leurs principes les plus profonds, l’aliénation se généralise. L’avortement, le port du turban dans la gendarmerie royale, du voile islamique à l’école publique, la discrimination active à l’endroit d’une multitude de minorités, le droit homosexuel dont le mariage entre gais, la langue d’affichage et de travail, les clauses du contrat de mariage, autant d’objets de controverse morale où le législateur prend parti contre la volonté de larges fractions de la population. À la maison ou au travail, une multitude de nouveaux risques physiques et psychologiques ont maintenant été identifiés, que notre ignorance présumée nous empêchait de reconnaître avant la clairvoyance, aussi présumée, du régulateur.

Tout employeur appréhende désormais de se retrouver en infraction d’une loi ou d’un règlement quelconque édicté par la CSST, le ministère de l’environnement, la Commission des droits de la personne, la police de la langue, et par quelques dizaines d’autres bureaucraties, dont les sous-fifres de l’équité dans l’emploi. Tout contribuable, individuel ou corporatif, doit craindre à tout moment d’avoir violé l’une ou l’autre des règles fiscales. Lorsque la prison guette l’agriculteur qui produit la quantité de lait qu’il juge optimale ou qui choisit de transporter ses céréales à la frontière, ou qui s’avise de cultiver des OGM, ou qui a recourt à la carabine pour se débarrasser de quelque encombrant rongeur protégé, il y a lieu de parler de harcèlement des citoyens.

A titre d’illustration de l’impact de la régulation, résumons le dernier travail paru sur la régulation des banques. (Barth, Caprio et Levine, 2006) Les auteurs établissent que la supervision des banques par l’autorité exerce un effet négatif sur leur développement, abaisse leur efficacité et élève la probabilité de crises financières. On découvre aussi que de hausser le ratio du capital au crédit offert par les banques n’exerce pas d’effet discernable. On peut aussi mesurer le fardeau de la régulation par son contraire : la dérégulation. Une étude récente s’emploie à examiner des épisodes de dérégulation survenus dans 7 industries (le transport aérien, le camionnage, le chemin de fer, les télécommunications, la poste et l’industrie du gaz et de l’électricité), dans 21 pays industriels, au cours de la période allant de 1975 à 1996. L’indice de régulation (difficulté d’accéder à une industrie, contrôle des prix, place de la propriété publique) retenu démontre que la régulation strictement industrielle a effectivement diminué au cours de la période dans certains pays, surtout aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande. L’étude établit que la dérégulation a donné lieu à une expansion phénoménale des investissements dans les industries ainsi libérées, en conséquence de la baisse de prix et de la demande accrue, ainsi que par l’effet d’abaissement des coûts administratifs pour les firmes. En diminuant la régulation de 15%, on suscite l’expansion des investissements de 6 à 7%.

[1][1] Le Cabinet fédéral a par la suite renversé cette décision.

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Subventions à Bombardier comme politique industrielle

Le 3 mars 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Introduisons un peu de réalisme dans ce schéma pour mieux appréhender la signification de cet «outil de rationalisation» qu’est la «politique industrielle». Au moment où ces lignes sont écrites, la firme Bombardier offre au plus offrant des gouvernements du Royaume-Uni, de l’Irlande du Nord et du Kansas la faveur de construire dans leur territoire son prochain jet commercial de 110 places…en attendant de se retourner du côté d’Ottawa et de Québec pour exiger son dû du contribuable canadien. Le gouvernement Couillard offre déjà 1,3 milliard à Bombardier en ce début de 2016.

Or quels sont les bénéfices qui découleraient de la fabrication des avions en question dans un territoire? Quarante-trois mille «jobs» directs et quatre fois plus en retombées, selon les estimations du premier intéressé, Bombardier. La faille de cette argumentation est que l’alternative à ces emplois n’est pas le chômage ni la perte des revenus correspondants. Si tel était le cas, pourquoi ne pas offrir la même faveur à d’autres industries? Pourquoi pas à toutes les industries sous forme d’allègement fiscal général, qui ne manquerait pas de susciter un nombre supérieur d’emplois et de revenus? Ce qui signifie en fin de compte que le bénéfice net de l’opération pour l’économie aura été nul. Le vrai calcul qui se camoufle derrière ces estimations comptables s’avère plus sinistre et relève de la logique politique. Les 43 mille employés de Bombardier deviendront furieux si on leur refuse cette «rente» et voteront contre le parti qui l’aura rejetée. Le reste de l’électorat en sera à peine conscient.

Autres applications : Planification des hôpitaux et commerce de détail
La restructuration des établissements hospitaliers qu’on a opérée il y a quelques années fera aussi l’affaire pour illustrer le sens de la politique industrielle. Supposé que l’entreprise X gère une chaîne de magasins à rayons dispersés à travers le territoire et qu’elle fasse face à des difficultés insurmontables. Lorsqu’elle s’avère incapable de répondre aux préférences des consommateurs, la faillite ou ses substituts, les fusions, les acquisitions, les OPA, constituent l’instrument incontournable du redressement.

Quelle serait l’allure de l’industrie du commerce de détail, si l’entreprise X devait fonctionner comme l’hôpital ou l’école? L’ensemble de l’opération tiendrait de l’absurde. Il serait ridicule d’organiser le marché du détail à partir d’une commission centrale de l’industrie. Le système s’organise tout seul, spontanément. Les décisions se prennent par des détaillants particuliers en fonction des besoins des consommateurs. Point n’est besoin de comprendre le management ou le contrôle de l’ensemble de l’industrie du commerce de détail. Personne ne détient une connaissance intime de tous les aspects de l’industrie. Bien avant que l’entreprise X connaisse des difficultés, des concurrents plus perspicaces étaient déjà en place, impatients de prendre la relève. A l’aboutissement du processus, les consommateurs sont mieux servis, sans qu’une commission nationale y ait jamais imposé de plan rationnel. Pourquoi en irait-il autrement de l’industrie hospitalière ou scolaire?

S’il s’agit d’une chaîne d’hôpitaux typique du secteur public, l’option de déposer les livres et de reconnaître le fait de la faillite est bannie a priori. C’est un plan rationnel plutôt que le mécanisme de la faillite qui, dans un régime de planification centrale, doit présider au mouvement de restructuration. En devenant la manifestation d’une crise du système, la surcapacité d’hôpitaux appelle une solution qui englobe l’ensemble du système. L’essence du plan rationnel est précisément d’embrasser le contrôle et le management de tout le système. En tant que composante du réseau d’hôpitaux, chaque unité de production doit donc tomber sous l’autorité d’abord d’une autorité régionale, et ultimement des organismes centraux de l’État. Plutôt que de mettre au point sa propre stratégie et de réorganiser ses propres affaires comme dans le contexte du marché de détail, l’entreprise hospitalière est à la merci de quelque commission nationale, chargée de faire de l’ordre dans le réseau.

Ce n’est pas seulement le réseau d’une entreprise particulière qui sera en cause; tous les  établissements de la province tomberont sous le coup de la réévaluation. Une fois convenu que le système compte trop d’unités de production ou trop de superficie, le planificateur s’avisera de prendre des décisions relatives à l’ensemble de l’industrie. Un établissement fera l’objet de fermeture ici, un autre ailleurs; c’est peut-être la taille d’un autre groupe de producteurs qui sera touchée, ou des établissements de plus petite taille qui seront fermés ou fusionnés à un ensemble plus vaste. Le maire de la municipalité hypothétiquement touchée, et le député et le syndicat local auront entre-temps fait l’objet de consultations laborieuses pour dégager le sens de la volonté communautaire. L’option retenue par la commission nationale et imposée à la lumière du plan rationnel reposera sur des considérations qui n’ont rien à voir avec la demande réelle des patients.

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JEAN-LUC MIGUÉ

Jean-Luc MiguéÉconomiste canadien. Maitrise de l’Université de Montréal. Ph.D. de The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Il a été professeur à l’Université Laval et est Professeur émérite à l’École nationale d’administration publique (ENAP).
Canadian economist. Master’s Degree, Université de Montréal. Ph.D., The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Was professor at Université Laval. Is now Professor Emeritus, École nationale d’administration publique, (ÉNAP) Quebec City.

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