Jean-Luc Migué, économiste Institut Fraser Profession émérite, ENAP Quebec

Senior Fellow, Institut Fraser et professeur émérite, ENAP - Senior Fellow, The Fraser Institute and professor Emeritus, ENAP, Québec.

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Conclusion: Le capitalisme, seule source de la hausse du niveau de vie

Le 8 juillet 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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La piètre croissance du Québec s’avère donc la recette infaillible pour garantir l’émigration de sa population, l’étiolement progressif du français et sa marginalisation ultime. Si le français est menacé, c’est parce que le milieu où s’exprime cette langue languit depuis les années 60 et qu’il offre moins d’opportunities aux Québécois. Peut-on vraiment espérer que le français progresse dans une économie où, faute de dynamisme, la population stagne, le marché de l’emploi est anémique et la croissance s’inscrit en-dessous des territoires qui nous entourent? Toute tentative de balkaniser une société de petite taille au nom de l’identité culturelle ou du multiculturalisme est une menace à la culture qu’on prétend assister. Le fétiche souverainiste est l’expression ultime de cette vision protectionniste de la culture. D’autant plus que la baisse des barrières commerciales a réduit le coût d’être une société de petite taille. Ce qui explique sans doute que le souverainisme ait perdu son audience. Le salut et le rayonnement du français chez nous ne passent ni par l’État québécois, ni par l’État canadien. C’est vous et moi qui ferons l’essor de la culture à la façon de nos ancêtres, non pas la panacée étatiste.

La vision économique, léguée par notre premier maître Adam Smith, repose sur le principe que le commerce libre entre individus et organisations décentralisées est seul capable de créer la richesse et le bien-être. Il en est la pré condition. Selon l’enseignement d’Adam Smith, le progrès économique résulte de contrats entre individus. La civilisation, selon Stuart Mill, ne peut avancer que si les gens jouissent du maximum de liberté de développer leur propre pensée.  Même en acceptant que l’État doive prendre des décisions qu’il faut appuyer, il nous faut reconnaître que chaque intervention diminue la liberté. L’État doit laisser le capital trouver sa plus haute rentabilité; laisser les biens trouver leur prix, la paresse sa punition naturelle, l’industrie sa propre récompense.  Le marché récompense le travail, l’investissement, l’épargne, la productivité, les relations humaines en somme. Une main invisible suscite des comportements socialement et économiquement désirables. Le marché repose sur la responsabilité individuelle. Cette pensée n’est pas l’expression d’une idéologie particulière; elle repose sur l’observation méthodique de la réalité contemporaine. Là où les droits de propriété et la liberté de choisir sont protégés, les marchés modérément libres et le fardeau réglementaire et fiscal léger, le taux de croissance est élevé et l’innovation florissante. Là où le fardeau fiscal, le poids réglementaire et l’instabilité politique sont grands, le progrès économique ralentit[1][1]. Le choix est statistiquement net: croissance et prospérité pour tout le monde par le marché et l’ouverture au monde, ou sous-développement permanent par l’égalitarisme et le redistributionisme d’État.

En 1900, pas un seul pays ne jouissait de ce que l’on considère aujourd’hui une démocratie. En l’an 2000, Freedom House classifiait 120 pays englobant 63 pour cent de la population comme démocratiques. La démocratie, dans ses règles traditionnelles, est la forme de gouvernement la plus favorable à la liberté…sans la garantir cependant. La démocratie du XXIe siècle souffre de problèmes graves. Les économistes de la tradition «public choice», associés à James Buchanan, ont été les premiers à reconnaître ses lacunes, avant même les analystes politiques. Ils ont tôt reconnu que les politiciens démocratiques s’assujettiront aux pressions de leur électorat, comme le confirme l’histoire du XXe siècle. Ils gonfleront les déficits et sous-investiront en infrastructures. On observe d’ailleurs que les votants n’éprouvent guère de respect pour les gouvernements que la démocratie leur a légués. Paradoxalement, ils estiment que la démocratie ne mérite aucune critique. Ils déplorent la pratique, mais ne contestent jamais la théorie. Ils attendent surtout toujours plus de l’État démocratique. En un mot, dédain du gouvernement, mais dépendance accrue à son endroit. Le libre choix en politique ne peut fleurir que sous un régime de libre choix dans le marché.

[1][1]Illustré abondamment dans Micklethwait et Wooldridge, op. cit.

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Catégorie(s) : Articles Étiqueté : classe moyenne, croissance, démocratie, émigration, Emploi, gouvernement, libre-choix, libre-échange, opportunité, Prospérité, société

Autres restrictions syndicales et salariales au Québec

Le 7 avril 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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La loi québécoise rend l’accréditation d’un syndicat plus facile que dans la plupart des provinces: mise en branle du processus dès que 35% (50% dans d’autres provinces) des employés ont acquis une carte de membre, pas de vote secret nécessaire, et accréditation automatique dès que 50% des employés détiennent une carte de membre. L’accréditation est aussi plus facile que la désaccréditation, en ce qu’alors le vote secret devient nécessaire.

Contrairement à la moitié des provinces, le recrutement d’employés au cours d’une grève est interdit et la réembauche garantie à la fin du conflit (loi anti scabs). La seule insertion dans les règles de convention collective d’une disposition anti-briseurs de grève multiplie de 13% le nombre de grèves (Cramton et Tracy, 1995). Dans les années 90, les employés canadiens sont allés 6 fois plus en grève que leurs contreparties américaines. Les grèves durent plus longtemps aussi et coûtent 2 millions de dollars de plus par grève. Le piquetage secondaire en cas de grève (chez un fournisseur ou un client commercial) est permis, bien que sujet à la discrétion d’une cour de justice; il est interdit en Alberta et en C.-B.;

L’employeur québécois doit donner au syndicat un avis d’implantation de changements technologiques, au grand détriment de l’innovation et de l’investissement; c’est le cas de quatre autres provinces seulement. Contrairement à quatre autres provinces, en cas de litige dans l’application de la convention collective, l’arbitrage est immédiatement obligatoire et exécutoire, sans possibilité d’autres recours;

En matière d’emplois syndiqués dans le secteur public, à 18,5 % de l’emploi total (14,3% en Alberta, 13,9 % en Ontario), c’est à la 53e place que se classe le Québec. Par l’effet de monopolisations publiques d’industries entières, plus marquées au Québec, comme l’éducation, les services municipaux et la santé, la centralisation des négociations dans le secteur public confère un pouvoir illimité aux monopoles syndicaux.

Le Québec paie le plus haut salaire minimum (relativement au PIB par tête) au Canada et en Amérique du Nord. C’est le chômage des moins qualifiés qui écope. D’autres contraintes légales sont exclusives au Québec, comme l’extension des décrets dans des dizaines d’industries, qui, à l’exemple des pratiques françaises, élargissent le pouvoir du syndicat à l’ensemble de la province en uniformisant les conditions de travail.

Monopole syndical et évolution de l’investissement en R&D

Une fois implanté, l’investissement en R&D devient immobile, en ce qu’il en coûterait prohibitivement cher de le déplacer. Le capital ainsi immobilisé devient l’objet de chantage de la part du monopole syndical qui cherchera à s’approprier le rendement de l’investissement en R&D, sous forme de salaires accrus et de conditions améliorées. Pour s’en défendre les employeurs comprimeront à long terme leurs investissements en R&D. Une récente étude (Betts, Odgeros, et Wilson, 2001) confirme cette prédiction en établissant une relation négative étroite entre le taux d’investissement en R&D d’une part (dépenses de R&D/unité d’output) et le degré de syndicalisation dans 13 industries canadiennes, entre 1968 et 1986.  Le Canada se situe désormais au 14e rang des 27 pays de l’OCDE en matière de taux d’investissement en R&D. Un taux moyen de syndicalisation au Canada s’accompagne d’une baisse de 28 à 50% des dépenses de R&D. Dans une industrie donnée, la R&D tombe de 40% quand on passe de l’entreprise moins syndiquée (25e rang percentile) à l’entreprise plus syndiquée (75e rang). Ultimement, c’est la croissance économique générale qui en souffre.

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Catégorie(s) : Articles Étiqueté : alarmiste, classe moyenne, économie, gouvernement, partis politiques, pouvoirs publics, syndicalisme

Régulation du travail et monopolisation syndicale au Québec

Le 31 mars 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Les énormes pertes issues des réglementations sectorielles généralisées dans l’agriculture, les transports, les communications, etc., ne perdent leur caractère dramatique que lorsqu’on les compare à la succession d’interventions réglementaires et fiscales qui se sont abattues sur la main-d’œuvre depuis 40 ans. Normes arbitraires du travail, dont le salaire minimum, préavis de licenciement, discrimination active, qui repose sur le sexisme et le racisme en ce que l’assignation des personnes se fait, non plus en fonction des talents de l’individu, mais plutôt de la couleur de sa peau ou du sexe, renforcement des monopoles syndicaux (le taux le plus élevé de monopolisation syndicale du continent), fiscalité du travail, alourdie de 530% depuis 1980. L’aboutissement est incontournable: le marché du travail est bloqué: le chômage se maintient à des niveaux en permanence alarmants.

Si on exclut les règles qui régissent la sous-traitance, le Québec est affublé du marché du travail le plus rigide en Amérique du Nord. C’est ce qu’établit une récente étude de l’Institut Fraser (Fraser Forum, septembre 2004), qui compare la performance du marché du travail au cours des années 1998-2002, à travers les 10 provinces canadiennes et les 50 États américains. L’étude met en parallèle quatre critères de performance du marché de l’emploi: 1. Le taux de chômage, à 9,1%, place le Québec au 53e rang sur 60 juridictions; 2. Le Québec est bon dernier des 60 juridictions pour la durée du chômage pour ses victimes, à 26,8 semaines (11,1 en Alberta, 20,8 semaines en Ontario); 3. La productivité du travail ou la valeur de la production réalisée par travailleur, à 64 282$, (91 565 en Alberta, 72 571$ en Ontario), place le Québec à la 52e place en Amérique; la productivité moyenne des travailleurs dans les juridictions les plus syndiquées s’inscrit à 64 888$, tandis qu’elle se hissait à un niveau de 30% supérieur (83 945$) dans leurs contreparties moins syndiquées ;  4. En matière de croissance de l’emploi dans le secteur privé, 6 provinces (dont l’Alberta et l’Ontario) font mieux que le Québec, en dépit de la bonne conjoncture générale du Canada relativement à l’économie américaine pendant cette période.

Au total donc, l’indice global de performance place le Québec au dernier rang des provinces canadiennes (10e rang) avec un score de 1,9 sur 10,0 et au 55e rang sur 60 dans le classement Canada-USA. Seules l’Ontario (5,5), l’Alberta (7,5) et le Manitoba (5,1) obtiennent au Canada une note de passage, c.-à-d. supérieure à 5,0.

Hausse de salaires des syndiqués, baisse de l’emploi

Demandons-nous maintenant pourquoi ce piètre bilan s’observe. Il faut poser au départ que le marché du travail ne diffère pas essentiellement du marché des « peanuts ». Lorsque le prix du travail s’élève, les employeurs en achètent moins. On engage moins de briqueteurs à $32, qu’à $18. Les salaires syndiqués élèvent le coût de la main-d’œuvre et donc de la production, dépriment l’emploi et forcent les candidats déboutés à se déverser dans les secteurs non syndiqués, où ils tirent les salaires vers le bas et le chômage vers le haut. Ce sont donc les non syndiqués (et ultimement les consommateurs) qui en portent le coût en emplois et salaires réduits. Or au cours des quarante dernières années, le marché du travail a été marqué par une succession ininterrompue d’interventions publiques qui ont eu pour double effet d’alourdir le coût du travail pour les employeurs et d’en déprimer le  rendement pour les employés. L’aboutissement est incontournable: la croissance de l’emploi se ralentit et le chômage se maintient en permanence à un niveau supérieur. Au Canada, les salaires des syndiqués sont de plus de 30% supérieurs au salaire concurrentiel (de 18 à 20%, une fois normalisés en fonction de la formation et de l’expérience des travailleurs).

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Catégorie(s) : Articles Étiqueté : classe moyenne, Monopolisation syndicale, producteurs, régulation

Centralisation des conventions collectives et baisse de l’activité économique

Le 11 février 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Nous nous en remettrons sur ce sujet à l’étude publiée récemment par la Banque Mondiale (2003). Les résultats confirment que la centralisation des négociations associée à la monopolisation publique et aux décrets ralentit les dépenses de recherche et de développement et réduit l’activité économique générale par le gonflement des salaires et des avantages sociaux. Souvent, elle ralentit la croissance de la productivité. La permanence d’emploi s’installe. Enfin, les conditions générales de travail (permanence, congés payés, congés de maladie, régime de retraite, longueur des heures de travail) l’emportent progressivement sur celles des travailleurs non soumis à cette forme de monopole de négociation.

La collectivisation des négociations s’exprime dans des contrats qui opposent des obstacles permanents au professionnalisme du personnel médical et au rendement. On assiste à la rigidification des horaires et des classifications qui gênent la créativité et l’excellence. Les clauses d’ancienneté se substituent à la compétence dans l’avancement. Les règles d’évaluation sont adoucies, quand elles ne sont pas purement absentes et le congédiement pour incompétence exclu. L’échelle des salaires récompense l’âge plutôt que le talent, exclut souvent toute forme d’incitation à l’excellence et interdit à la direction de récompenser l’effort supplémentaire et le succès.

Comme le rappelle R. Brenner (2001), la distribution des salaires se rétrécit aussi aux dépens des plus talentueuses et des plus dynamiques des infirmières.
Politique industrielle et subventions aux entreprises

À la différence de la monopolisation pure, la politique industrielle constitue un moyen indirect de subventionner les producteurs en pénalisant les contribuables. Tous les gouvernements prétendent pouvoir faire mieux que le marché pour déceler d’avance les industries gagnantes.  Tous ont fait la preuve qu’il s’agit d’une illusion coûteuse.[1][1]

Les chefs du gouvernement canadien réaffirment régulièrement leur foi inébranlable dans une stratégie industrielle nationale pour l’automobile, de même que pour l’industrie aérospatiale à qui ils promettaient leur prodigalité par le Technology Partnership Canada en faveur de l’aérospatial et de la défense.

Ce dernier organisme a depuis 1996 approuvé plus de 3 milliards en « contributions » au secteur privé. Comme il s’agissait en principe de « prêts » remboursables à même les rendements fabuleux des investissements, les estimations initiales prévoyaient le remboursement de 80%. La réalité révèle que c’est moins de 5% que les contribuables ont récupéré (Williamson 2006). Au même moment, le Comité des Communes sur l’Industrie concentrait arbitrairement son attention sur trois secteurs : le pétrole, le textile et le vêtement. Pas précisément des industries de pointe. Pourquoi ces trois industries plutôt que d’autres, bien malin qui pourrait y répondre. Le seul gouvernement canadien a gaspillé environ $5 milliards de fonds publics par année en faveur des entreprises et des agriculteurs, injectés par les tubes intraveineux que sont les agences régionales (dont le Bureau fédéral de développement régional—Québec), les politiques industrielles, les programmes d’infrastructure et de promotion technologique, les politiques de ressources (Hibernia) et de transport (rachat du programme de subvention au transport des céréales de l’Ouest), sans compter les budgets de la Corporation de développement des exportations.

Le régime de quasi monopole public qui régit nos forêts a valu des milliards de subventions à l’industrie du papier et du bois d’œuvre en droits de coupe artificiellement bas et en interdiction d’exporter le bois en billes. Il nous a aussi valu 25 ans de conflits perpétuels avec les producteurs américains. Le règlement intervenu en 2006 tient du même arbitraire, mais laisse au moins la porte ouverte à un régime de propriété privée si les provinces s’avisaient de s’en prévaloir.

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Catégorie(s) : Économie du Québec Étiqueté : classe moyenne, gouvernement, pouvoirs publics, subvention

Emploi public et syndicalisation

Le 4 février 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Autre aboutissement de la monopolisation publique de la production: la part de l’emploi public dans l’ensemble de la main-d’œuvre constitue un déterminant important de l’ampleur de la syndicalisation. Ainsi au Canada comme aux États-Unis le taux de syndicalisation s’avère nettement plus élevé dans le secteur public que privé. En 2003, 75,6% des employés du secteur public canadien étaient syndiqués, contre 19,9% du secteur privé. De même, 41,5% des employés des gouvernements américains appartenaient à un syndicat, contre 9% des employés des firmes privées. On peut donc se convaincre que l’importance relative de l’emploi public, à 18% au Canada plutôt qu’à 14,4% aux États-Unis, explique en bonne partie le plus fort taux de syndicalisation au Canada.

Si on appliquait le même raisonnement à la situation du Québec, où 40% de la main-d’œuvre est syndiquée, on comprendrait pourquoi le taux de syndicalisation dans ce territoire l’emporte sur les autres provinces. On comprendrait qu’il vaille la peine pour la Centrale des enseignants du Québec (CEQ) de diffuser largement auprès de ses membres et dans la population en général les avantages qu’ils ont à retirer de la formation d’un monopole public de l’éducation, tandis que les parents et les contribuables ont moins à gagner à prendre conscience du fardeau fiscal supplémentaire et de la baisse de qualité qui s’ensuivront. Au prix de quelques centaines de dollars par année imposés à la masse des parents contribuables, chacun des enseignants encaissera des milliers de dollars supplémentaires en salaires accrus et en conditions de travail avantageuses. L’ardeur des associations d’éducateurs du réseau public à lutter pour la suppression de la concurrence et contre la liberté de choisir l’école est solidement documentée. La bureaucratie scolaire locale et centrale s’associera allègrement à ce combat. Il ne fait pas de doute que les monopoles syndicaux opposeront une résistance farouche à toute tentative de restaurer la concurrence dans l’industrie de la santé. Ils préfèrent négocier avec un monopole d’État, à l’abri du risque de faillite et de la concurrence, qu’avec un employeur soumis aux risques du marché et déterminé à résister aux demandes excessives du syndicat.

Surutilisation du travail au détriment du capital

L’un des effets généraux associés au monopole public et à son pendant le monopole syndical est qu’il concentre relativement plus de ressources productives dans le travail que dans le capital. (Megginson, et Netter, 2001). Puisque les frais de personnel et les effectifs sont incompressibles dans un régime de « droit » au travail, c’est dans les budgets d’équipement que s’opèrent les rationnements les plus marqués, comme en témoigne la position peu enviable du Canada ou de la France en matière d’accès aux technologies médicales avancées et de longueur des files d’attente.

On prétend parfois que le monopole d’État sert au moins à contrôler les coûts via l’imposition de contraintes à la capacité. La composante travail ou budget salarial reste, elle, constamment excessive. L’hôpital canadien moyen affecte environ 75% de son budget global au salaire, l’hôpital français 70%, tandis que l’hôpital américain affecte moins de 55% à ce poste (McArthur, 2000). En même temps les syndiqués non spécialisés dans les services de santé (entretien, électriciens, plombiers, etc.) touchent des salaires supra concurrentiels, supérieurs à leur contrepartie dans le marché. En comparant les salaires des syndiqués d’hôtellerie à ceux des syndiqués d’hôpital, on découvre que les ouvriers d’entretien gagnent 40% plus cher à l’hôpital, les peintres, 63,3% et les cuisiniers, 28,9%. C’est dans des dimensions spécifiques que les dépenses de santé ont le plus augmenté, soit les dimensions les plus favorables à la promotion des intérêts syndiqués, au détriment par exemple des dépenses d’investissement, d’équipement de haute technologie et de médicaments nouveaux (McMahon, et  Zelder, 2002). Pourtant c’est de ce côté que les bienfaits semblent le plus visibles sur les patients.

Le biais n’est pas exclusif à la santé. On se souviendra des déclarations du Secrétaire général de l’OTAN qui n’hésitait pas à affirmer que l’Europe sous investit en équipement et technologie militaire au profit du personnel et des fonctionnaires bénéficiaires de programmes d’emploi et qui n’ont souvent de militaires que le nom. La conséquence en est que l’Europe dépense les deux tiers du budget que le gouvernement américain affecte à la défense, mais n’atteint que 10% de sa capacité de combat.

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : classe moyenne, économie, gouvernement, pouvoirs publics, Québec, société, syndicalisme, syndicat

L’avantage démocratique aux groupes d’intérêt

Le 24 septembre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Tous les individus et tous les groupes ne s’engageront donc pas également dans la « course aux faveurs » politiques. Nous avons déjà établi qu’une mesure même impopulaire auprès de la majorité sera retenue par les décideurs politiques si elle s’avère très populaires auprès d’une minorité. Ce qui nous a justifiés de conclure que ce n’est que par hasard que la règle du scrutin majoritaire réalise le bien commun.

La règle générale que retient l’économiste pour prédire l’intensité de la participation veut que les gens ne s’adonnent à l’action politique que dans la mesure où les bénéfices attendus des politiques recherchées l’emportent sur les coûts. Ils ne se consacrent à une initiative de lobbying, à la vie d’un comité de citoyens ou à une manifestation dans les rues, que si l’impact prévu justifie l’investissement de temps, d’énergie et d’argent que l’opération comporte. Alternativement, il s’avère difficile d’organiser un grand nombre de votants pour ou contre une mesure qui n’entraîne que des effets mineurs sur eux. Toutes les parties affectées par les choix politiques ne siègent donc pas à la table de négociation. Si la politique est l’art du compromis, elle est surtout l’art du compromis sélectif. C’est la réalité de ces coûts qui expliquent que l’action politique soit principalement le fait de groupes organisés.

Les citoyens appartiennent à des groupes multiples définis par l’occupation, l’industrie, le revenu, la géographie, l’âge ou quelque autre caractéristique. L’influence politique des groupes sert à promouvoir les intérêts de leurs membres. On peut définir les groupes d’intérêt comme des regroupements organisés de votants (ou d’entreprises) ayant des préférences semblables pour une politique spécifique. En concentrant leur lobbying sur une mesure particulière, ces groupes peuvent gagner l’adoption d’une politique qui leur vaut des bénéfices directs, tout en en diluant le coût sur des millions de contribuables ou de consommateurs. Ces groupes seront donc disposés à engager des ressources pour obtenir des mesures qui les favorisent. On désigne le fardeau de ces investissements qui ne servent qu’à opérer des transferts de richesse, comme la course aux faveurs ou aux rentes.[1] Concrètement, ces « investissements politiques » prennent la forme de contributions à la caisse électorale et à la propagande du parti, de lobbying en faveur de causes privilégiées, de marches dans les rues, de lettres aux journaux. Le processus politique n’est pas gratuit. Cette dissociation entre les bénéfices et les coûts donnera lieu à un niveau inefficace de dépenses ou de taxes. Le coût social de la politique l’emportera sur les bénéfices.

« Est-ce l’activité des groupes
qui suscite le gonflement de l’État,
ou l’expansion de la taille de l’État
qui entraîne l’activisme des groupes? »

La tradition analytique introduite par Olson (1965) explique difficilement que les groupes puissent se former. En raison du problème du « passager clandestin » (free rider), il peut s’avérer irrationnel, même pour les individus qui y gagneraient au lobbying, de participer à l’opération, puisqu’ils y gagneront de toute façon, même en s’en excluant. Autre question non parfaitement résolue : Est-ce l’activité des groupes qui suscite le gonflement de l’État, ou l’expansion de la taille de l’État qui entraîne l’activisme des groupes? (Mueller et Murrel, 1986) Il reste qu’on compte par dizaines les écrits théoriques et empiriques sur le lien entre l’activité des groupes de pression et la taille de l’État. (Ekelund et Tollison, 2001) Entre autres, Sobel (2001) construit un solide dossier empirique sur la relation positive entre les PAC (political action committees) et le budget de dépenses du gouvernement fédéral américain. Face à la majorité rationnellement silencieuse, les groupes déjà organisés jouissent d’un avantage certain. L’agriculteur membre de l’UPA sait mieux que le consommateur de lait l’étendue des contrôles exercés sur la production de cette denrée. Les dirigeants d’entreprises et leurs syndiqués connaissent mieux que leurs acheteurs les restrictions tarifaires qui les affectent. Pour une organisation déjà en place et ses lobbyistes, pour une association de producteurs, un syndicat, un regroupement de votants géographiquement circonscrits, les ressources supplémentaires à engager pour influer sur les décisions publiques restent minimes, tandis que les bénéfices peuvent s’avérer énormes.

 

[1] La mesure théorique rigoureuse de ce transfert devient pur gaspillage.

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Domination du votant médian

Le 17 septembre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Les résultats du processus budgétaire ou réglementaire seront déterminés par le régime de sanctions et de récompenses qui encadrent les acteurs, votants, hommes d’État et bureaucrates, tout comme l’aboutissement du marché dépend des incitations qui s’exercent sur les consommateurs et les producteurs. L’examen du contexte institutionnel dans lequel s’inscrivent les choix publics constitue donc une démarche absolument essentielle à la compréhension de la place effective des pouvoirs publics dans la société.

L’économiste identifie la finalité des politiques et des institutions, non pas par les déclarations des politiciens ou le préambule des lois, mais par leur incidence effective sur le revenu des intéressés. Or, la règle première de la logique démocratique, formellement énoncée il y a plus d’un demi-siècle par Downs (1957), est de répondre aux préférences de la majorité.[1][1] C’est d’abord en conférant des bénéfices à la majorité sur le dos d’une minorité que la victoire électorale se gagne en régime de scrutin majoritaire (Buchanan et Tullock, 1962, Buchanan et Congleton, 1998 et Tullock, 1976). Le souci premier, pour ne pas dire exclusif de l’homme politique, est de gagner la course électorale et donc d’adopter la plate-forme la plus favorable au votant majoritaire, le votant médian. C’est sa façon de gagner sa vie. Comme l’homme d’affaires vis-à-vis les acheteurs, le politicien adoptera les politiques qui lui vaudront la reconnaissance du votant médian.

La demande de services publics dépend d’abord du fardeau fiscal que chaque votant s’attendra d’assumer à différents niveaux de services. A cet égard, à mesure que la quantité de services s’élève, chacun atteindra un point où il juge que l’addition de service n’en vaut plus le coût. Selon les préférences de chacun, ce niveau variera. A un prix fiscal identique, certains en voudront plus, d’autres moins. On découvre en première approximation du vote direct à la majorité que seul le votant médian (la personne au centre de la distribution) réalisera sa préférence optimale. Les votants les plus friands du service seront frustrés de n’en avoir pas assez, les votants les plus tièdes vis-à-vis du service, d’en avoir trop. C’est le sens du théorème du votant médian, où l’on compte autant d’individus qui en voudraient davantage que d’individus qui préféreraient en avoir moins. Il jouit empiriquement d’un pouvoir prédictif énorme dans toutes sortes de domaines, depuis les budgets scolaires, jusqu’aux politiques environnementales, etc.

La politisation biaise le choix public dans une première direction précise. La distribution du revenu est universellement asymétrique (il y a plus de familles qui font un revenu inférieur à la moyenne qu’il y en a qui font plus que la moyenne), c.-à-d. la majorité des familles fait un revenu (d’environ 55 000 dollars par année ou moins) inférieur à la moyenne (d’environ 73 000 dollars par année)[2][2]. La logique du votant médian peut alors se formuler dans les termes de Meltzer et Richard (1978, 1981, 1983). Les gens demandent la combinaison de taux d’imposition et de transferts (en argent ou en services) qui maximisent leur bien-être. Les individus dotés d’une productivité et donc d’un revenu inférieurs à la moyenne, c.-à-d. la majorité, opteront pour des taux d’imposition réduits et des services publics gonflés. A la limite, certains individus ne travaillent pas ou ne paient pas d’impôt sur le revenu; c’est le cas de 44% des individus dans la province de Québec. Ils seront particulièrement portés vers cette option. Donc les gens au revenu inférieur, qui forment la majorité, accorderont leur vote au candidat qui propose l’allègement du fardeau fiscal pour eux et son alourdissement pour les revenus moyens supérieurs. Entre autres, c’est en étatisant de vastes pans de l’activité économique et en recourant au financement public qu’on gagne les élections. Même si rien ne devait changer à la qualité ni à la quantité de services pris en charge par le gouvernement, une majorité de votants appuiera l’étatisation, uniquement parce qu’elle en tire des transferts de richesse de la minorité. La taille de l’État grossira

[1][1] En réalité, Condorcet, au siècle des lumières, avait déjà énoncé la thèse, mais avant l’implantation méthodique de la démarche public choice dans les années 1960, il est tombé dans l’oubli.

[2][2] Statistique Canada, Income in Canada, catalogue 75-202-XIE.

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : bureaucratique, classe moyenne, Etat, famille médiane, partis politiques, politique, pouvoirs publics, Québec, revenu médian, société

Conscience du marché, remède historique à la pensée groupiste

Le 24 juillet 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Pour surmonter ces préjugés primitifs et le fait que la société ait évolué tellement plus vite que notre cerveau, la sagesse civilisatrice impose « l’éducation » de soi et l’analyse plutôt que la simple rationalisation facile de la pensée interventionniste. L’homme ne fait pas naturellement l’appréciation d’un mécanisme aussi vaste et complexe que le marché, tandis que l’effet direct et apparent du salaire minimum ou du contrôle des loyers exerce toujours leur fascination sur nos esprits malgré leur échec ultime incontournable. Cette démarche facile et primitive est décrite par Sowell[1] comme le fait de limiter sa réflexion au « stade un de la pensée ».

Cet instinct primaire qui nous fait béatement percevoir l’État comme le chef protecteur de la grande famille nationale a pourtant été surmonté, depuis moins de 10 000 ans, dans l’avènement du réseau complexe de coopération qu’on désigne aujourd’hui comme le marché, fondé sur la confiance entre étrangers. L’examen sérieux de cette question amène Jason Shogren à poser que c’est le commerce et la spécialisation consécutive qui sont ultimement responsables de l’existence de l’humanité. C’est par ce truchement, amorcé il y a 40 000 ans, que l’homo sapiens en serait venu à supplanter le néandertal et à s’installer comme la seule espèce humaine. Avant cette ère, selon la thèse d’un professeur de Toulouse[2], la coopération se limitait au réseau personnel des proches parents. Le partage des tâches avec des membres non génétiquement reliés et la spécialisation du travail entre membres de la même espèce mais en dehors de la famille, sont des phénomènes uniques à l’espèce humaine. C’est la capacité de calculer rationnellement les bénéfices de la coopération, de la main invisible, qui aurait suscité ce déterminant de la vie économique moderne.

De l’avis de l’auteur, cette tournure des choses s’avère la dimension la plus invraisemblable et surprenante de l’évolution. La fantastique capacité du marché de multiplier sans cesse les innovations et d’offrir une infinie variété de biens et de les répartir selon l’intensité des préférences de milliards d’acheteurs volontaires, tient du merveilleux. Et cette forme de décentralisation définit la liberté même, qui, l’histoire et l’analyse le démontrent, est inconciliable avec la planification centrale. Malheureusement, s’agissant de la perception de l’autorité, elle n’a pu faire le poids contre la vision paternaliste qui nous inspire toujours.

 

[1] Sowell, Thomas, Affirmative Action Around the World: An Empirical Study, 2004.

 

[2] Seabright, Paul, The Company of Strangers: A Natural History of Economic Life,                 Princeton University Press, mai 2004.

 

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : classe moyenne, industrialisation, revenu médian, société

Ignorance rationnelle chez les votants

Le 15 juillet 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-IgnorVotant1

Une lourde conséquence risque de résulter de l’ignorance rationnelle des votants. Privés de l’information suffisante pour porter un jugement éclairé, les gens se laisseront guider par toutes sortes de préjugés dissociés du monde réel, mais qui leur vaut bonne conscience.

Par exemple, même s’ils ont moins d’une chance sur des millions d’influer sur l’issue d’un vote, et bien que friands des grosses voitures énergivores, ils appuieront les régulations qui les bannissent, si la satisfaction psychologique qu’ils dégagent de leur contribution présumée à l’environnement leur vaut le moindre contentement. S’ils ont le moindre préjugé que la médecine socialisée exprime leur sens de la solidarité, ils opteront, en tant que votant individuel parmi des millions, pour le parti qui la propose, et accepteront rationnellement d’ignorer les milliers de dollars qu’ils sacrifieront en liberté de choisir, en fiscalité allégée ou en accès plus sûr aux technologies médicales. Le jihad engagé ces dernières années contre le tabac par la majorité devenue non fumeur découle de cette logique; même les fumeurs se culpabilisent de leurs habitudes devenues honteuses et appuient les régulations qui les tyrannisent. Dans nos comportements de votants ignorants, la facilité est de voter de façon irrationnelle si on peut en dégager une satisfaction infime.

Qui prétendra que la satisfaction d’appuyer les mesures qui appellent à la sympathie ou à la vertu soit absente de la faveur dont jouissent des programmes politiques comme le salaire minimum, les monopoles syndicaux, les espèces menacées, la ferme familiale ou le café équitable qui ne résout rien ? Dans le cas limite, on se retrouvera dans un contexte où la sexagénaire aura à voter sur le droit à l’avortement. Elle se prononcera dès lors sur une initiative qui n’aura que peu d’incidence personnelle sur sa vie, mais qui affectera profondément la vie personnelle de ses voisins.

En même temps qu’il exploite les minorités pour octroyer ses faveurs à la majorité, le politicien s’emploiera à camoufler le coût de ses programmes aux masses qu’il veut servir. Le rationnement physique est la formule privilégiée par la logique politico-bureaucratique pour influer sur le comportement des consommateurs. Cette façon grossière de contenir les coûts n’est attrayante aux politiciens que parce qu’elle camoufle les vrais coûts aux consommateurs. En supprimant un lit d’hôpital, on retarde une intervention chirurgicale sans que le patient ne sache que la procédure aurait pu se faire si le lit avait été disponible.

Nos institutions démocratiques mènent à la prise de décisions non informées, capricieuses et souvent incohérentes. Par suite de l’ignorance rationnelle des votants, la politique est l’industrie la plus propice au mensonge. C’est le sens que donne le Lauréat Nobel d’économie James Buchanan à ce biais : les contraintes au pouvoir de l’État s’estompent, opine-t-il, lorsque le motif de ses actions est de réaliser notre bien, fût-ce par la coercition.[1] Selon le mot d’un observateur, dans la formulation des choix politiques, la démagogie l’emportera souvent sur les données objectives.

[1] Buchanan, J. M. et J. Brennan, The Power to Tax, Cambridge University Press, 1979.

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : classe moyenne, pouvoirs publics, Québec, société, système politique, votants

Application de la théorie économique de la politique au régime de santé

Le 12 juin 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-EconoSante

Le temps est venu d’appliquer systématiquement notre analyse à des secteurs particuliers. Nous commencerons par les services de santé.

Nous avons déjà établi que l’étatisation des services de santé se fait en faveur d’une majorité aux dépens d’une minorité. La majorité des familles (celles qui comptent en politique) touche un revenu annuel d’environ 25% inférieur au revenu de la famille moyenne. Or, en vertu de la première des règles du jeu démocratique (majorité simple de 50%+1), c’est la famille médiane qui élit les gouvernements et qui, en première approximation, prend les décisions politiques. On dégage de ce calcul la proposition politique clé : Par la substitution du financement public à la tarification marchande (frais de santé), une majorité de la population n’aura à payer que 5 500$ ou moins (10% de 55 000), plutôt que 7,000$ (coût effectif des services), pour jouir des services de santé. Toutes les familles qui font un revenu inférieur à la moyenne paieront moins de 7 000$ pour leurs soins de santé; les familles qui font plus que la moyenne paieront plus de 7 000$.

La nationalisation de l’industrie de la santé a valu à une majorité de votants un transfert de richesse de plus de 1 500$ par année, prélevé sur les familles à revenu moyen supérieur. L’analyste politique Wilson[1] associe spécifiquement l’avènement du régime d’assurance santé au souci de la majorité de se faire payer le service par la minorité. Un parti politique qui sait gagner des élections proposera l’étatisation de l’industrie de la santé et en récoltera plus de votes chez les gagnants majoritaires qu’il n’en perdra chez les perdants minoritaires.

Par ailleurs, la théorie économique des choix publics prédit que la majorité optera pour un budget global de dépenses inférieur à ce qu’elle choisirait si chacun était libre d’acheter lui-même les soins. Sous un régime de monopole public exclusif, le budget public (et donc global) retenu par la majorité s’avérera en général inférieur au budget qui découlerait de la coexistence d’un secteur public et d’un secteur privé.[2] La raison en est que le budget public est déterminé par un décideur théorique (le votant médian) qui dispose d’un revenu inférieur de plus de 25% à la moyenne. Lorsque coexistent un régime public et privé, les consommateurs qui optent pour le service privé ajoutent à la capacité du système, en libérant même le secteur étatique d’une demande supplémentaire. Ce n’est pas la capacité totale que les tenants de la médecine d’État cherchent à maximiser, c’est le budget public.

Et le paradoxe du régime de santé est que ce contexte mène à la surconsommation. L’État est un mauvais assureur. Dans les termes de Boucher-Palda (2000, p. 57), on constate que « Il n’y a aucun lien direct entre l’assurance obtenue et le prix payé. …les citoyens sont portés à demander une protection excessive ». On conclut de cette logique que le rationnement des services de santé et son corollaire, la file d’attente, sont l’aboutissement incontournable de la socialisation de la santé en régime démocratique.

Les adeptes du monopole public se révèlent clairement incohérents à cet égard. Ils prônent d’une part la monopolisation publique intégrale au nom de la solidarité et de l’entraide aux défavorisés, sous le prétexte que l’État est un despote bénévolant, un instrument de générosité et de compassion. Ils postulent d’autre part que le même mécanisme politique, sans monopole public, suscitera l’avènement d’une santé à deux vitesses et laissera les soins de santé publics se détériorer parce que les patients détournés vers le marché retireront leur clientèle et leur appui aux services publics. En d’autres termes, la solidarité ne peut venir que du monopole public, mais si on lui retire son monopole et qu’on l’abandonne aux règles du jeu du scrutin, le gouvernement obéira au calcul des choix publics exposé ci-dessus. Ils reconnaissent donc implicitement le caractère illusoire de la solidarité par l’État. Le retrait du monopole de la santé à l’État constitue, à leurs yeux, un danger intolérable.[3]

Autre dimension significative de la santé socialisée : Les régimes publics mesquinent à l’endroit des services aux personnes gravement malades, mais offrent une multiplicité de services aux gens peu malades. On peut dès lors comprendre la tendance durable des gouvernements à détourner les ressources des soins coûteux destinés au faible nombre de personnes gravement malades, au profit d’une multiplicité de services de réconfort réclamés par le grand nombre pour des malaises mineurs. Ces derniers profitent à des masses tandis que les services intensifs concentrent des sommes énormes sur de petits groupes politiquement moins rentables. Les fonds publics servent d’abord au plus grand confort et au bien-être des personnes âgées, des malades chroniques et des handicapés mentaux, par opposition aux soins intensifs à l’américaine pour les gens dont la santé ou la vie est menacée. Convenons que l’attachement sentimental pour la médecine socialisée repose moins sur le noble idéal de la compassion ou sur la fidélité aux préférences générales, qu’en premier lieu sur le souci de la majorité d’accéder à l’assurance illimitée aux frais des autres.

 

[1] Wilson, L. S., « The Socialization of Medical Insurance in Canada », Revue canadienne d’économique,vol. XVII, mai 1985, pp. 355-76.

 

[2] Epple et Romano (1996) ont fait avec rigueur la généralisation de cette approche à l’ensemble de la production publique. Les observations empiriques s’avèrent ambiguës sur cette question. (Tuohy, Flood et Stabile, 2004)

[3] Lire à ce sujet l’argumentation de Pierre Lemieux, « Informational Cascades: Why Everybody Thinks Alike », Le Québécois Libre, 133, 22 novembre, 2003.

 

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Catégorie(s) : Économie du Québec, La santé au Québec Étiqueté : classe moyenne, économie, famille médiane, politique, société, système de santé

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JEAN-LUC MIGUÉ

Jean-Luc MiguéÉconomiste canadien. Maitrise de l’Université de Montréal. Ph.D. de The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Il a été professeur à l’Université Laval et est Professeur émérite à l’École nationale d’administration publique (ENAP).
Canadian economist. Master’s Degree, Université de Montréal. Ph.D., The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Was professor at Université Laval. Is now Professor Emeritus, École nationale d’administration publique, (ÉNAP) Quebec City.

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