Jean-Luc Migué, économiste Institut Fraser Profession émérite, ENAP Quebec

Senior Fellow, Institut Fraser et professeur émérite, ENAP - Senior Fellow, The Fraser Institute and professor Emeritus, ENAP, Québec.

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Règles constitutionnelles restrictives, indispensables à la démocratie

Le 15 juillet 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-Conclusion-Juillet16

L’histoire du XXe siècle confirme que la moitié de l’Europe a succombé à l’autoritarisme dans les années 20 et 30. La démocratie occidentale est devenue surchargée d’obligations et dominée par les groupes d’intérêt.  Le correctif qui s’impose, révélé par l’histoire du XXe siècle, est que les règles constitutionnelles qui la régissent la circonscrivent rigoureusement. La question première à se poser reste toujours celle de définir son rôle à l’État, pour ensuite l’encadrer de règles qui interdisent le gonflement dont il a fait l’objet au XXe siècle. Force nous est de reconnaître que l’étendue de l’intervention étatique est la mesure de notre échec comme animal social. L’explosion des «droits sociaux» depuis la deuxième guerre mondiale constitue le problème essentiel de l’État moderne. C’est lorsque le commerce entre les hommes devient impraticable que l’État est appelé à intervenir. La coercition d’État est un mal nécessaire aux sociétés libres. Mais il faut voir dans l’explosion de l’étatisme à travers l’Occident depuis cinq décennies, l’expression incontestable de la faillite de nos relations humaines, de notre humanisme. Le vieillissement de la population n’incite guère à l’optimisme à cet égard.

Le moment est venu de persuader les votants et les gouvernements eux-mêmes de mettre un terme à la tendance naturelle de l’État à se gonfler. Significations pratiques? Elles sont trop vastes pour s’insérer intégralement dans ces lignes. Quelques illustrations suffiront. La Suède s’est engagée à équilibrer son budget sur l’étendue des cycles économiques. L’introduction de clauses d’expiration aux lois et aux régulations se conçoit aussi. Un régime où les lois et règlements expireraient après 10 ans ne manquerait pas de freiner la poussée des dépenses en imposant aux gouvernements eux-mêmes de se contrôler. En se rappelant que l’exercice de la politique monétaire par la Banque Centrale s’est avéré une heureuse évolution, on est tenté de retirer aux politiciens certaines décisions pour les confier aux technocrates. L’autorité des banques centrales a abaissé le taux d’inflation en Occident de plus de 20 pour cent en 1980 à près de zéro aujourd’hui. Dans ce contexte, le danger d’évoluer vers la technocratie serait réel; ce qui justifierait le recours calculé et circonscrit à cette formule à un nombre limité de décisions, comme par exemple les pensions. La concession aux autorités locales de fonctions plus nombreuses irait dans le même sens[1][1]. Mais la suggestion la plus puissante découlant de notre analyse consisterait à imposer des règles plus restrictives aux législateurs: par exemple la règle de décision à plus de 50 pour cent des assemblées législatives, aux deux-tiers ou plus, dans toutes les décisions susceptibles de gonfler les budgets et les contraintes aux citoyens. L’adoption de compressions aux budgets et à la fiscalité, elle, se maintiendrait à 50 pour cent. La tâche assignée ne sera pas facile, mais le coût de l’inaction à long terme serait énorme. L’avantage de cette sorte de réforme serait par contre imposant. La société qui l’adopterait prendrait l’avance sur ses voisines aux plans humains et économiques. L’accès à la liberté et aux droits de l’individu constitue la tradition qui a propulsé l’Europe d’abord, les États-Unis ensuite, vers le progrès et la richesse. A cet égard, le Québec étant l’une des communautés qui a le plus souffert de l’étatisme, il a le plus à gagner à réinventer l’État.

Dans son histoire récente, la société québécoise a particulièrement misé sur l’appareil orwellien de l’État pour réaliser le progrès et la prospérité, en gâtant  les riches «baby boomers» de son excessive générosité. Elle a, plus que presque partout ailleurs, combiné le vieillissement de la population et la poussée des coûts de la santé. La vision élitique et discréditée qui a présidé à la révolution dite tranquille, mais qu’on qualifierait mieux de bureaucratique, a entrainé la société québécoise à sa suite, en faveur de l’amplification de nos retards et de l’émigration consécutive. L’occasion est venue de persuader les votants et les gouvernements d’accepter les contraintes constitutionnelles à la tentation naturelle de l’État de se gonfler. La consigne est claire: moderniser, par des règles du jeu pragmatiques, une institution étatique surchargée de responsabilités qui ne lui reviennent pas.

[1][1] Le gouvernement québécois projette déjà d’abaisser ses subventions aux municipalités de 300 millions.

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Conclusion: Le capitalisme, seule source de la hausse du niveau de vie

Le 8 juillet 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-Capitalisme-Juill16

La piètre croissance du Québec s’avère donc la recette infaillible pour garantir l’émigration de sa population, l’étiolement progressif du français et sa marginalisation ultime. Si le français est menacé, c’est parce que le milieu où s’exprime cette langue languit depuis les années 60 et qu’il offre moins d’opportunities aux Québécois. Peut-on vraiment espérer que le français progresse dans une économie où, faute de dynamisme, la population stagne, le marché de l’emploi est anémique et la croissance s’inscrit en-dessous des territoires qui nous entourent? Toute tentative de balkaniser une société de petite taille au nom de l’identité culturelle ou du multiculturalisme est une menace à la culture qu’on prétend assister. Le fétiche souverainiste est l’expression ultime de cette vision protectionniste de la culture. D’autant plus que la baisse des barrières commerciales a réduit le coût d’être une société de petite taille. Ce qui explique sans doute que le souverainisme ait perdu son audience. Le salut et le rayonnement du français chez nous ne passent ni par l’État québécois, ni par l’État canadien. C’est vous et moi qui ferons l’essor de la culture à la façon de nos ancêtres, non pas la panacée étatiste.

La vision économique, léguée par notre premier maître Adam Smith, repose sur le principe que le commerce libre entre individus et organisations décentralisées est seul capable de créer la richesse et le bien-être. Il en est la pré condition. Selon l’enseignement d’Adam Smith, le progrès économique résulte de contrats entre individus. La civilisation, selon Stuart Mill, ne peut avancer que si les gens jouissent du maximum de liberté de développer leur propre pensée.  Même en acceptant que l’État doive prendre des décisions qu’il faut appuyer, il nous faut reconnaître que chaque intervention diminue la liberté. L’État doit laisser le capital trouver sa plus haute rentabilité; laisser les biens trouver leur prix, la paresse sa punition naturelle, l’industrie sa propre récompense.  Le marché récompense le travail, l’investissement, l’épargne, la productivité, les relations humaines en somme. Une main invisible suscite des comportements socialement et économiquement désirables. Le marché repose sur la responsabilité individuelle. Cette pensée n’est pas l’expression d’une idéologie particulière; elle repose sur l’observation méthodique de la réalité contemporaine. Là où les droits de propriété et la liberté de choisir sont protégés, les marchés modérément libres et le fardeau réglementaire et fiscal léger, le taux de croissance est élevé et l’innovation florissante. Là où le fardeau fiscal, le poids réglementaire et l’instabilité politique sont grands, le progrès économique ralentit[1][1]. Le choix est statistiquement net: croissance et prospérité pour tout le monde par le marché et l’ouverture au monde, ou sous-développement permanent par l’égalitarisme et le redistributionisme d’État.

En 1900, pas un seul pays ne jouissait de ce que l’on considère aujourd’hui une démocratie. En l’an 2000, Freedom House classifiait 120 pays englobant 63 pour cent de la population comme démocratiques. La démocratie, dans ses règles traditionnelles, est la forme de gouvernement la plus favorable à la liberté…sans la garantir cependant. La démocratie du XXIe siècle souffre de problèmes graves. Les économistes de la tradition «public choice», associés à James Buchanan, ont été les premiers à reconnaître ses lacunes, avant même les analystes politiques. Ils ont tôt reconnu que les politiciens démocratiques s’assujettiront aux pressions de leur électorat, comme le confirme l’histoire du XXe siècle. Ils gonfleront les déficits et sous-investiront en infrastructures. On observe d’ailleurs que les votants n’éprouvent guère de respect pour les gouvernements que la démocratie leur a légués. Paradoxalement, ils estiment que la démocratie ne mérite aucune critique. Ils déplorent la pratique, mais ne contestent jamais la théorie. Ils attendent surtout toujours plus de l’État démocratique. En un mot, dédain du gouvernement, mais dépendance accrue à son endroit. Le libre choix en politique ne peut fleurir que sous un régime de libre choix dans le marché.

[1][1]Illustré abondamment dans Micklethwait et Wooldridge, op. cit.

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Histoire de l’étatisme en Occident

Le 2 juillet 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-HistEtatisme-juill2016

Le défi politique majeur du Québec, plus que des autres provinces mais comme la plupart des pays d’Europe, est de régler la question de l’État omnivore. L’État en Occident est appelé à dégrossir, par suite du fait que la logique en place suscite le résultat alarmant qu’on connait, une crise fiscale en somme. L’Occident ne connait qu’un modèle depuis la deuxième guerre mondiale, surtout depuis les années 60, soit le gonflement incessant de l’État démocratique. L’égalité des chances est devenue l’égalité des résultats par l’insertion de l’État. L’histoire moderne depuis trois siècles n’a pas toujours suscité cet aboutissement. C’est au XVIIe siècle que l’occident a réalisé l’État nation centralisé. C’était l’époque du premier Léviathan, selon la désignation proposée par Thomas Hobbes. La démocratie libérale apparait et l’Ouest domine les autres régimes, politiquement et économiquement.

Fin du XVIIIe et XIXe siècle, les réformes libérales balaient la royauté et instaurent l’accountability, surtout en Grande-Bretagne. Sous la reine Victoria, la liberté et l’efficacité inspirent l’État. Les droits accaparés par l’État sont comprimés et le fonctionnarisme professionnel s’installe dans la santé et l’éducation, au point que les ressources prélevées par les pouvoirs publics baissent. Au XXe siècle, nonobstant la mondialisation, obstacle supposé au gonflement, et dans le souci déclaré d’améliorer le sort de tous les citoyens, les pays occidentaux inventent le «welfare state»; le reste du monde suit la tendance. Malgré les efforts de Milton Friedman et de Hayek[1][1] après la guerre pour freiner le gonflement de l’État, leur enseignement n’obtient pas un grand succès dans les pratiques effectives. Vers la fin de sa vie en 2004, Friedman en était conscient et formulait le sens de cette évolution dans une phrase expressive: « Après la deuxième guerre mondiale, l’opinion publique était socialiste mais la pratique reposait sur le marché libre; présentement l’opinion est pro marché libre, tandis que la pratique est nettement socialiste »[2][2].

De 1913 à 2011, la part du PIB absorbée par les pouvoirs publics passe de 7,5% à 41% aux USA, de 13 à 48% en Grande-Bretagne et de 10 à 47% dans les 13 pays les plus riches. Le gouvernement américain n’a connu que cinq surplus dans les 54 années depuis 1960; le gouvernement britannique, six depuis 1975. Un nombre élevé de pays portent une dette publique supérieure à 100 pour cent du PIB. A la fin de 2012, les 34 pays membres de l’OCDE étaient propriétaires, en tout ou en partie, de plus deux mille compagnies embauchant une main-d’œuvre de plus de six millions et dotées d’une valeur collective de 2 mille milliards. On estime que les gouvernements de ces mêmes pays détenaient des terres et des bâtiments évalués à neuf mille milliards. L’Institut  Économique de Montréal calcule en temps réel la croissance de la dette intégrale du secteur public du Québec. Il s’agit de la dette brute du gouvernement, à laquelle on ajoute la dette des réseaux de santé et d’éducation, des municipalités et des autres entreprises sous la responsabilité finale du gouvernement. En se basant sur les données fournies par le ministère des Finances dans son Plan budgétaire 2014-2015 (qui excluent la part de la dette fédérale qui revient au Québec), l’IÉDM en vient à estimer que la dette augmentera de 9,3 milliards $ d’ici le 31 mars 2015, ou de 25 millions $ par jour, ou de 17 670 $ par minute, ou de 294 $ par seconde. Elle se gonflera encore davantage dans les prochaines années, sous l’influence du vieillissement de la population. Les industries réseaux, tels le transport, l’électricité, les télécommunications, sont largement nationalisées, sous le douteux prétexte qu’elles constituent des biens collectifs ou des actifs stratégiques. C’est même sous la présidence du républicain George Bush, présumé favorable au rétrécissement de l’État, que les budgets publics américains gonflent le plus rapidement. Malgré la diffusion des services publics de santé et d’éducation, la productivité n’augmente que peu et le vieillissement de la population n’aide pas non plus. Au total, le processus d’explosion de l’État s’avère inhérent à la politique associée à la démocratie. La globalisation et la technologie parviendront-elles à transformer le secteur public. Certains y croient.[3][3] Nous nous en remettons quant à nous aux règles constitutionnelles.

Le Québec recule par rapport aux autres provinces depuis la révolution tranquille; cette évolution s’observe en matière de population, de PIB, et de main-d’œuvre. Le mouvement de la population et du PIB montre que dans l’économie d’une province intégrée à l’économie nationale, c’est dans les quantités plutôt que dans les prix et les revenus par habitant que les ajustements s’opèrent, sauf dans les prix du sol et des services locaux.  Parce que l’offre de sol est une ressource fixe, son prix augmente plus rapidement en Ontario qu’au Québec. Et l’ajustement se poursuit jusqu’à ce que le revenu réel par habitant converge vers le même niveau à travers les deux provinces. La divergence prononcée dans la croissance totale de chacune des deux provinces s’en est trouvée entièrement capitalisée dans le prix du sol et des services locaux. Grâce à la mobilité de la population et à la plus faible croissance de la population québécoise, les résidents québécois ont pu participer à la hausse du standard de vie canadien. Cette évolution comporte cependant un contrepoids: dans la mesure où les Québécois moins mobiles n’ont pas souffert de la baisse du revenu par habitant, dans la même mesure ils sont moins susceptibles de résister à l’envahissement étatique.

 

[1][1] Hayek, Friedrich A., The Road to Serfdom, The University of Chicago Press, 1944.
[2][2] Cité dans Burgin, Angus, The Great Persuasion: Reinventing Free Markets since the Depression, Harvard University Press, 2012, p. 223.
[3][3] Micklethwait, John et Adrian Wooldridge, The Fourth Revolution, The Penguin Press,            New-York, 2014.
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Tableau d’échange de votes entre groupes

Le 4 novembre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Le tableau qui suit, reproduit de Gwartney et Stroup (1997, p. 503) mais inspiré à l’origine par Tullock (1959), offre une représentation simplifiée du processus d’échange de votes entre 5 groupes qui se distinguent, dans ce cas particulier, par leur localisation géographique. Trois projets de dépenses, la construction d’un bureau de poste dans le territoire A, d’un quai en B et d’une base militaire en C, font l’objet d’un vote par les 5 représentants des territoires concernés.

L’évaluation qu’en font les populations des 5 territoires révèle qu’aucun des projets n’est rentable; le bénéfice « social » de chacun des investissements s’avère inférieur de 2 dollars au coût (dernière ligne), et aboutit ainsi à une perte nette globale de 6 dollars (dernière colonne). Si chacun des projets était soumis séparément au vote, aucun des projets ne serait retenu; chacun serait rejeté par un vote de 4 contre 1. En combinant les trois initiatives en un seul vote, les trois gagnants, A, B et C, peuvent échanger leur vote et entraîner l’adoption de cette législation particulière dans un vote de 3 contre 2. La dépense publique et donc la taille de l’État viennent d’augmenter au-delà de l’optimum.

On notera que le résultat obtenu découle de ce que le gouvernement détient le monopole des services en question. Et il se comporte en monopole en ce qu’il combine les trois propositions en une seule, ce qui lui permet de rallier l’accord d’une majorité aux dépens de la minorité. En langage technique, on dit qu’il discrimine par le prix (fiscal) en faveur de la majorité. En concentrant les bénéfices de cette concoction de mesures sur la majorité localement circonscrite, pour en diluer le coût sur l’ensemble des contribuables apathiques, le politicien rallie plus de votes qu’il n’en perd. On devine à la lecture du tableau l’appui enthousiaste que les constructeurs de bureaux de poste, de quais et de bases militaires accorderont à cette forme de transferts.

Échange de votes et taille de l’État

(Bénéfices et coûts nets de chacun des votants locaux en $)

 VOTANTS DE CHAQUE LOCALITÉ
 A
BUREAU DE POSTE
 B
LE QUAI
 C
La BASE MILITAIRE
 TOTAL
A  +10  -3  -3  +4
B -3 +10 -3 +4
C -3 -3 +10 +4
D -3 -3 -3 -9
E -3 -3 -3 -9
Total -2 -2 -2 -6

La course aux faveurs politiques, c.-à-d. la concurrence que se font les groupes de pression pour redistribuer la richesse en leur faveur est donc souvent destructrice de richesse. L’échange au service de la redistribution abaisse le revenu global. L’abolition de tous les privilèges, par la compression des budgets par exemple, améliorerait le sort de tout le monde, parce que le coût de toutes les faveurs combinées l’emporte sur les bénéfices obtenus. Le malheur veut que mon bénéfice particulier serait encore plus grand si tous les privilèges étaient abolis à l’exception de ceux qui me profitent à moi personnellement. Comme cette conclusion vaut pour tous et chacun, la compression des budgets de faveurs ne se fait pas.[1] Comme remède partiel à ces maux inhérents au processus politique, nous dégagerons le précepte que l’adoption d’une règle de majorité qualifiée (supérieure à 50% plus un) atténuerait ce travers des choix publics.

Ce qui nous ramène aux considérations déjà énoncées sur l’imperfection relative du marché politique et du marché économique. Il s’avère que nous avions raison de rejeter la position facile des économistes conventionnels et qui font libéralement appel à l’État pour corriger les imperfections du marché. S’il est vrai que le coût d’arriver à une décision dans le marché politique s’avère plus lourd pour les citoyens que dans le marché tout court, il devient presque toujours contre-indiqué de faire appel à l’État pour redresser une défaillance du marché.

Cette argumentation explique en même temps l’hostilité des politiciens au principe du référendum, des initiatives populaires. La démocratie directe retirerait aux politiciens les outils indispensables au maquignonnage qu’ils pratiquent pour gagner les votes en régime de démocratie représentative. Nous soutiendrons ultérieurement que les initiatives populaires pourraient occuper une place grandement plus large dans l’arène politique pour freiner la puissance des groupes d’intérêt et renforcer la voix des simples citoyens.

[1] On donne à ce phénomène le nom de « dilemme du prisonnier ».

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Concurrence politique par l’échange entre les groupes d’intérêt

Le 21 octobre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-PolitEchang

Sans retenir la position limite retenue par Becker pour des fins de démonstration, on peut supposer qu’en régime démocratique les groupes de pression ne négocient pas nécessairement entre eux les échanges de faveurs qu’ils voudront obtenir. C’est plutôt le politicien qui assumera la tâche d’opérer ces arbitrages entre les groupes. C’est lui, le politicien, ou le parti politique qui exerce le rôle parallèle à celui du manager de l’entreprise commerciale dans la vaste entreprise monopolistique qu’est la décision démocratique.

Tout comme le manager de la firme est embauché pour promouvoir les intérêts des actionnaires, les politiciens et les bureaucrates sont embauchés pour promouvoir les intérêts collectifs des groupes de pression. Et justement, tout comme les managers commerciaux acquièrent du pouvoir de la séparation de la propriété et du contrôle (relation agent-principal), de même les politiciens jouissent de pouvoirs étendus en tant qu’agents des électeurs. Nous emprunterons donc une analyse plus générale pour incorporer le rôle de ces agents dans le marché politique.

Par analogie avec le manager de l’entreprise qui s’emploie à réaliser les intérêts des actionnaires, l’homme politique adoptera les programmes ou les lois les mieux réglées sur les intérêts des groupes actifs, les plus susceptibles d’apporter le support financier indispensable, de monter une publicité effective et souvent de susciter l’endossement de leaders éminents. Pour attirer l’appui électoral et réduire l’opposition au maximum, le politicien visera à concentrer les bénéfices de ses politiques dans de petits nombres rassemblés dans des groupes organisés et à en diluer le coût sur le plus grand nombre. La plupart des batailles politiques s’engagent sur des propositions qui n’intéressent que des regroupements circonscrits. Le politicien obtiendra par cette formule l’appui des gagnants, sans pour autant aliéner les perdants apathiques.

En réalité, on identifie dans le secteur public une approximation de ce qu’on associe à un marché. Les économistes le désignent par l’expression « échange de votes », qui traduit le terme américain « logrolling »; le discours populaire parle plutôt de participation. Supposé que toutes les décisions gouvernementales soient soumises au scrutin majoritaire direct. Chacun des citoyens voterait sur chaque mesure dans un référendum distinct, sans considération des décisions à venir ultérieurement ou prises antérieurement. Le théorème de la tendance centrale exposé précédemment s’appliquerait presque intégralement dans l’une ou l’autre des formulations que nous avons présentées. Cette théorie simplifiée expliquerait, à elle seule, presque toute la réalité politique. Les groupes d’intérêt circonscrits s’en trouveraient largement exclus. Par exemple, les agriculteurs qui comptent pour moins de trois pour cent de la population votante, ne parviendraient pas dans un référendum distinct à se faire octroyer des milliers de dollars chacun par les consommateurs qui en sont victimes. Pas plus que les contribuables n’accepteraient de se laisser exploiter par des monopoles publics factices, du type Loto Québec, Hydro Québec ou par les monopoles de la santé ou de l’éducation. L’octroi de faveurs à des groupes locaux ou minoritaires ne s’observerait que rarement.

En toute objectivité, il nous faut reconnaître que les projets de référendums, là où ils se pratiquent, renferment souvent le regroupement de multiples projets sans liens réels entre eux. Ces combinaisons n’ont de sens qu’en ce qu’elles obtiennent la faveur de la majorité, alors que chacune des composantes serait rejetée. Il s’agit manifestement d’une forme de « logrolling ». Il faut enfin ajouter que même les mesures les plus générales, tels les budgets de la santé ou de la défense, comportent des incidences différentielles sur les citoyens. Elles affectent certains individus plus que d’autres. Elles donneront donc lieu à des échanges implicites de votes.

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Méthodes indirectes et paradoxales des groupes d’intérêt en démocratie

Le 15 octobre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-SocieteNov15

Autre coût inhérent au marché politique en régime démocratique : les distorsions économiques introduites dans l’allocation des ressources par les taxes et les transferts suscités par les groupes. Mais tel que souligné par Garry Becker, par l’effet de ces mêmes distorsions, l’appesantissement fiscal découlant de l’action d’un groupe entraîne l’engagement de pressions accrues de la part d’un autre groupe, celui des contribuables ou des consommateurs, pour y résister.

Les distorsions inhérentes aux taxes et transferts inefficaces favorisent l’engagement d’efforts supplémentaires des contribuables en faveur de l’allègement fiscal, gênant ainsi les efforts des bénéficiaires en faveur de transferts accrus. Dans la mesure où les distorsions fiscales augmentent à mesure que le fardeau fiscal par tête s’appesantit, l’opposition des contribuables et des consommateurs aux faveurs des groupes s’amplifie. Le marché des influences politiques confère ultimement l’avantage à ces derniers dans la concurrence pour l’accès à l’influence politique. Le redistributionnisme en faveur des groupes d’intérêt comporte sa limite ultime.

Même dans un monde dominé par les groupes de pression, par opposition aux votants, aux bureaucrates ou aux politiciens, la pression reste donc constante en faveur de taxes et de transferts moins inefficaces. Cette tendance améliore à la fois la position des bénéficiaires de faveurs et des contribuables et consommateurs. Les groupes défavorisés par l’action politique qui abaisse l’efficacité jouissent d’un avantage intrinsèque ultime dans la concurrence, tout comme les groupes qui bénéficient d’activités qui élèvent l’efficacité ont finalement l’avantage sur ceux qui l’abaisseraient.

« La résistance des contribuables
et consommateurs à la hausse des taux
de taxation s’atténue lorsque les taxes
sont plus efficaces. »

Le corollaire implicite de la thèse Becker est que la redistribution qui s’opère sur une vaste échelle par l’action des groupes d’intérêt se fait de façon efficace. Les politiques redistributionnistes efficaces ont plus de chance d’être adoptées que les moins efficaces. La résistance des contribuables et consommateurs à la hausse des taux de taxation s’atténue lorsque les taxes sont plus efficaces. C’est par cette logique que Becker explique le recours à des méthodes indirectes et paradoxales d’octroi de faveurs. Par exemple, pourquoi passer par les tarifs douaniers ou les quotas contre les voitures japonaises pour offrir des salaires supra concurrentiels aux membres du monopole syndical de l’auto? Pourquoi ne pas opter pour le libre-échange des automobiles pour ensuite verser des allocations publiques directes aux employés en question. La réponse est qu’une fois le monopole syndical concédé par l’État, les distorsions économiques supplémentaires introduites par le protectionnisme s’avèrent moins lourdes pour la société que les pertes d’emplois et de salaires des membres du syndicat.

Mais le redistributionnisme par l’État en faveur des groupes les plus puissants ne s’en pratique pas moins sur une vaste échelle. L’interaction des lobbys d’intérêt accroît leur pouvoir et ultimement les budgets de taxes et de dépenses. C’est le sens d’une deuxième contribution de Becker (Becker et Mulligan 2003) à l’analyse économique de la politique. Même lorsque, pour hausser leur impact politique, les groupes favorisent l’efficacité dans la redistribution, ils se trouvent par la même occasion à gonfler le budget, et de dépenses et de taxes, et les régulations. C’est ainsi que la réforme fiscale associée à l’impôt proportionnel (flat tax) comporte moins d’avantages économiques que supposé, du fait de l’expansion consécutive du secteur public. De même les bénéficiaires de faveurs publiques intensifieront leur action politique si les subventions qu’ils reçoivent sont moins inefficaces. Donc par ce truchement, la taille de l’État s’élève aussi. L’aboutissement ultime en est que la taille de l’État grandit au-delà de l’optimum du fait même de la plus grande efficacité des groupes.

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JEAN-LUC MIGUÉ

Jean-Luc MiguéÉconomiste canadien. Maitrise de l’Université de Montréal. Ph.D. de The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Il a été professeur à l’Université Laval et est Professeur émérite à l’École nationale d’administration publique (ENAP).
Canadian economist. Master’s Degree, Université de Montréal. Ph.D., The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Was professor at Université Laval. Is now Professor Emeritus, École nationale d’administration publique, (ÉNAP) Quebec City.

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