Jean-Luc Migué, économiste Institut Fraser Profession émérite, ENAP Quebec

Senior Fellow, Institut Fraser et professeur émérite, ENAP - Senior Fellow, The Fraser Institute and professor Emeritus, ENAP, Québec.

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Relation négative entre croissance économique et taille de l’État

Le 3 juin 2016 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Quelle est la signification globale de notre démarche au Québec? La croissance n’est pas le produit d’une seule cause. De prétendre que sa triste évolution ne fait que refléter le déplacement de l’activité depuis le nord-est de l’Amérique du Nord vers le sud-ouest n’est qu’un faux-fuyant. L’Ontario a fait beaucoup mieux, du moins jusqu’à récemment et les Maritimes aussi. Autre facteur qui déculpabilise partiellement la politique québécoise: les transferts fédéraux aux provinces et aux municipalités. Les politiciens provinciaux et locaux n’ont pas toujours à taxer leurs électeurs pour se payer les services publics qu’ils valorisent. Ce sont souvent les politiciens fédéraux qui prélèvent les revenus qu’ils transfèrent aux provinces. La thèse que nous soumettons ici s’applique à tous les niveaux, même en régime fédéral.

Ce qui n’explique pas que le Québec se soit montré sensiblement plus fervent que les autres provinces dans sa foi dans les vertus étatistes. Nous rappellerons donc la cause déterminante de notre retard: les obstacles à la liberté de commercer découlant de la lourdeur du fisc et des régulations s’avèrent toujours fatales à la prospérité. Les études démontrent universellement que la relation entre le rythme de croissance de l’économie et la taille de l’État est négative.[1][1] Le Québec s’inscrit déjà  au dernier rang des 10 provinces et des 50 États américains en matière de fiscalité et de régulations. En 2008, le gouvernement québécois dépensait 28% du PIB provincial, l’Ontario, environ 20% et l’ensemble des provinces, 18%[2][2]. A près de 40% du PIB, le fardeau fiscal québécois se hissait au plus haut niveau, non seulement du Canada, mais de tous les pays de l’OCDE en 2006[3][3]. Sa dette brute atteignait 88% du PIB, contre 68% pour l’ensemble des juridictions canadiennes.[4][4] Les faits sont incontestables. Les modes d’intervention qui affectent les prix relatifs ont explosé depuis les années 60: subventions, taxes, tarifs douaniers, quotas, nationalisations, entreprises publiques, achats préférentiels, régulations sociales et prohibitions. Dans les années 50, la part du secteur public au Québec s’avérait inférieure à celle des autres provinces; dans les années 60, elle s’est gonflée pour atteindre une part de l’économie supérieure au reste du Canada. Cette évolution s’est maintenue depuis et s’observe encore aujourd’hui. La part des dépenses publiques dans l’économie québécoise est passée de 4% inférieure à la moyenne canadienne en 1961, à plus de 4% supérieure en 1978.[5][5] Elle atteignait 47,3% de l’ensemble du  Canada en 2009, soit de près de 9 points de pourcentage supérieure[6][6]. La fonction publique du Québec emploie le même nombre de personnes que la Californie.[7][7] On réalisera que le séparatisme est lui-même le sous-produit de cette foi dans le pouvoir de l’État de réaliser le bien commun. Ce mouvement, apparu dans les années 60 constitue une aspiration promue principalement par les intellectuels de gauche qui associent le progrès et la modernité à la planification d’État. Dans la promotion du français chez nous, la croyance est généralisée que la régulation est plus importante que la prospérité économique.

__________________

[1][1] J. Gwartney, R. Lawson et W. Easterly, Economic Freedom of the World, Annual Report, The Fraser Institute, Vancouver, 2006.
[2][2]Joanis et Godbout, Graphique 60.
[3][3] Joanis et Godbout, Graphique 51.
[4][4]M. Joanis et L. Godbout, p. 341.
[5][5] Statistique Canada, Provincial Economic Accounts 1961-1976 and Provincial Economic Accounts 1963-1978, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1978 et 1981. On lira une analyse plus étendue de l’histoire économique du Québec dans Vincent Geloso, Du Grand Rattrapage au Déclin Tranquille, Les Éditions Accent Grave, 2013.
[6][6] K Treff and D. Ort, Finances of the Nation 2011, Table B.8, p. B-14, Canadian Tax Foundation 2012.
[7][7] Mark Steyn, « Is Canada’s Economy a Model for America? », Imprimis, janvier 2008, vol. 37, numéro 1.

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Marché politique et marché économique

Le 4 décembre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-MarchePublic

Nous disposons déjà des éléments analytiques pour établir les caractéristiques particulières qui distinguent le marché politique du marché économique. Ce dernier repose d’abord sur l’engagement volontaire des parties à l’échange, tandis que le pouvoir de l’État repose sur la coercition. Toutes les parties à l’échange marchand y gagnent et la sanction contre les offreurs inefficaces est immédiate. L’intervention publique de son côté divise la population en gagnants, composés parfois de majorités parfois de groupes circonscrits, et en perdants, contribuables ou consommateurs. Et la sanction contre les politiciens prédateurs ne s’applique au mieux qu’à l’élection suivante, au pire ne vient jamais.

Dans un marché, le consommateur fait ses achats à la pièce, selon l’intensité de ses préférences et son revenu. Il peut les renouveler à volonté et délaisser les fournisseurs insatisfaisants. Quand il obtient un service de l’État, surtout en l’absence de référendums ou d’initiatives populaires, il doit forcément l’acheter « en bloc » du monopole public. Nous avons montré que l’offreur public combine les propositions en une seule, pour concentrer les bénéfices sur la majorité et en diluer le coût sur l’ensemble des contribuables ou des consommateurs rationnellement absents de l’échange. C’est la façon pour le politique de rallier plus de votes qu’il n’en perd. Le mandat du politicien s’étendant sur plusieurs années, l’électeur doit patienter tout ce temps pour le renverser.

Parce qu’il jouira de la bonne exploitation de ses ressources et qu’il pourra en disposer à son profit, l’exploitant commercial voudra en maximiser la valeur. Les ressources publiques ne sont la propriété de personne, certainement pas de l’homme d’État qui n’en est le gestionnaire que jusqu’à l’élection suivante. Le politicien n’a pas à se soucier de la valeur à long terme des richesses qu’il contrôle.

Le prix commercial exprime la rareté relative des biens et services qui s’échangent dans un marché. Il sert en même temps à canaliser les ressources vers ceux qui les valorisent le plus. Les taxes, qui sont la contrepartie du prix dans le secteur public, n’ont qu’une lâche relation avec la valeur des services que le contribuable obtient. L’intérêt de ce dernier est de consommer le maximum de voies publiques, de services scolaires, médicaux et hospitaliers, même s’ils n’en valent pas à ses yeux le « coût », acquitté d’avance. On comprend dès lors la généralisation des queues, du rationnement et l’épuisement des ressources désormais affectées d’un prix nul. Bien que les services étatiques se composent en grande partie de « biens non collectifs et donc divisibles », la tarification explicite à l’utilisateur touche moins de 3% des services offerts par Ottawa ou la capitale provinciale (environ 12 des services municipaux). Au total, l’échange marchand offre, mieux que le scrutin et l’action politique, aux destinataires ultimes de l’activité productive, une multiplicité de recours pour exprimer et combler leurs préférences.

Contribution du capitalisme à l`humanisme

Le dynamisme du vrai capitalisme lui vient, comme l’avait enseigné Hayek, de ce qu’il favorise les idées novatrices que les entrepreneurs traduisent en technologies profitables. Le régime alternatif (public) au contraire les repousse et les défavorise. D’autre part, les innovations du régime capitaliste découlent de ce que chacun dans ce contexte doit posséder des connaissances personnelles qu’il fera fructifier dans ses initiatives. Mais ce que Phelds dégage de son analyse fascine encore davantage. Le capitalisme dynamique impose aux gens de passer leur vie à résoudre des problèmes, ce qui réalise l’épanouissement personnel. C’est là aux yeux de l’auteur la contribution la plus grande du capitalisme à l’humanisme. De plus, il s’avère particulièrement bénéfique aux gens des classes de revenu inférieur, en leur donnant aussi à eux, non seulement un niveau de vie meilleur, mais l’occasion d’exercer leur créativité.

Aux yeux de l’analyste, l’avènement de cette grande coalition d’intérêts qu’on retrouve dans les « sommets » et les « États généraux », n’est donc ni réaliste ni souhaitable. L’hypothèse d’un consensus de cette nature n’augurerait rien de bon. Il ne pourrait s’établir qu’au détriment de groupes inorganisés ou pas encore existants. Les grandes coalitions ne se concrétisent que lorsque les victimes appropriées ont été ciblées. En général celles-ci se composent des contribuables ou des consommateurs. Alternativement, si un aménagement favorable à la productivité ou à l’innovation devait gêner les intérêts de l’une des parties à la coalition, il serait habilement écarté. Nous procéderons maintenant à l’étude de la domination des producteurs en faisant une revue partielle des deux formes distinctes de cartellisation publique, qui démontrera que, tout inefficaces qu’elles soient, ces mesures font gagner plus de votes chez les agents producteurs, qu’elles n’en font perdre chez les consommateurs ou les contribuables.

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Catégorie(s) : Économie du Québec Étiqueté : capitalisme, économie, gouvernement, partis politiques, politiciens, politique, pouvoirs publics, Québec, société

Tableau d’échange de votes entre groupes

Le 4 novembre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Le tableau qui suit, reproduit de Gwartney et Stroup (1997, p. 503) mais inspiré à l’origine par Tullock (1959), offre une représentation simplifiée du processus d’échange de votes entre 5 groupes qui se distinguent, dans ce cas particulier, par leur localisation géographique. Trois projets de dépenses, la construction d’un bureau de poste dans le territoire A, d’un quai en B et d’une base militaire en C, font l’objet d’un vote par les 5 représentants des territoires concernés.

L’évaluation qu’en font les populations des 5 territoires révèle qu’aucun des projets n’est rentable; le bénéfice « social » de chacun des investissements s’avère inférieur de 2 dollars au coût (dernière ligne), et aboutit ainsi à une perte nette globale de 6 dollars (dernière colonne). Si chacun des projets était soumis séparément au vote, aucun des projets ne serait retenu; chacun serait rejeté par un vote de 4 contre 1. En combinant les trois initiatives en un seul vote, les trois gagnants, A, B et C, peuvent échanger leur vote et entraîner l’adoption de cette législation particulière dans un vote de 3 contre 2. La dépense publique et donc la taille de l’État viennent d’augmenter au-delà de l’optimum.

On notera que le résultat obtenu découle de ce que le gouvernement détient le monopole des services en question. Et il se comporte en monopole en ce qu’il combine les trois propositions en une seule, ce qui lui permet de rallier l’accord d’une majorité aux dépens de la minorité. En langage technique, on dit qu’il discrimine par le prix (fiscal) en faveur de la majorité. En concentrant les bénéfices de cette concoction de mesures sur la majorité localement circonscrite, pour en diluer le coût sur l’ensemble des contribuables apathiques, le politicien rallie plus de votes qu’il n’en perd. On devine à la lecture du tableau l’appui enthousiaste que les constructeurs de bureaux de poste, de quais et de bases militaires accorderont à cette forme de transferts.

Échange de votes et taille de l’État

(Bénéfices et coûts nets de chacun des votants locaux en $)

 VOTANTS DE CHAQUE LOCALITÉ
 A
BUREAU DE POSTE
 B
LE QUAI
 C
La BASE MILITAIRE
 TOTAL
A  +10  -3  -3  +4
B -3 +10 -3 +4
C -3 -3 +10 +4
D -3 -3 -3 -9
E -3 -3 -3 -9
Total -2 -2 -2 -6

La course aux faveurs politiques, c.-à-d. la concurrence que se font les groupes de pression pour redistribuer la richesse en leur faveur est donc souvent destructrice de richesse. L’échange au service de la redistribution abaisse le revenu global. L’abolition de tous les privilèges, par la compression des budgets par exemple, améliorerait le sort de tout le monde, parce que le coût de toutes les faveurs combinées l’emporte sur les bénéfices obtenus. Le malheur veut que mon bénéfice particulier serait encore plus grand si tous les privilèges étaient abolis à l’exception de ceux qui me profitent à moi personnellement. Comme cette conclusion vaut pour tous et chacun, la compression des budgets de faveurs ne se fait pas.[1] Comme remède partiel à ces maux inhérents au processus politique, nous dégagerons le précepte que l’adoption d’une règle de majorité qualifiée (supérieure à 50% plus un) atténuerait ce travers des choix publics.

Ce qui nous ramène aux considérations déjà énoncées sur l’imperfection relative du marché politique et du marché économique. Il s’avère que nous avions raison de rejeter la position facile des économistes conventionnels et qui font libéralement appel à l’État pour corriger les imperfections du marché. S’il est vrai que le coût d’arriver à une décision dans le marché politique s’avère plus lourd pour les citoyens que dans le marché tout court, il devient presque toujours contre-indiqué de faire appel à l’État pour redresser une défaillance du marché.

Cette argumentation explique en même temps l’hostilité des politiciens au principe du référendum, des initiatives populaires. La démocratie directe retirerait aux politiciens les outils indispensables au maquignonnage qu’ils pratiquent pour gagner les votes en régime de démocratie représentative. Nous soutiendrons ultérieurement que les initiatives populaires pourraient occuper une place grandement plus large dans l’arène politique pour freiner la puissance des groupes d’intérêt et renforcer la voix des simples citoyens.

[1] On donne à ce phénomène le nom de « dilemme du prisonnier ».

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : démocratie, économie, fiscalité, gouvernement, partis politiques, politiciens, politique, pouvoirs publics, système politique, votants

Concurrence politique par l’échange entre les groupes d’intérêt

Le 21 octobre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-PolitEchang

Sans retenir la position limite retenue par Becker pour des fins de démonstration, on peut supposer qu’en régime démocratique les groupes de pression ne négocient pas nécessairement entre eux les échanges de faveurs qu’ils voudront obtenir. C’est plutôt le politicien qui assumera la tâche d’opérer ces arbitrages entre les groupes. C’est lui, le politicien, ou le parti politique qui exerce le rôle parallèle à celui du manager de l’entreprise commerciale dans la vaste entreprise monopolistique qu’est la décision démocratique.

Tout comme le manager de la firme est embauché pour promouvoir les intérêts des actionnaires, les politiciens et les bureaucrates sont embauchés pour promouvoir les intérêts collectifs des groupes de pression. Et justement, tout comme les managers commerciaux acquièrent du pouvoir de la séparation de la propriété et du contrôle (relation agent-principal), de même les politiciens jouissent de pouvoirs étendus en tant qu’agents des électeurs. Nous emprunterons donc une analyse plus générale pour incorporer le rôle de ces agents dans le marché politique.

Par analogie avec le manager de l’entreprise qui s’emploie à réaliser les intérêts des actionnaires, l’homme politique adoptera les programmes ou les lois les mieux réglées sur les intérêts des groupes actifs, les plus susceptibles d’apporter le support financier indispensable, de monter une publicité effective et souvent de susciter l’endossement de leaders éminents. Pour attirer l’appui électoral et réduire l’opposition au maximum, le politicien visera à concentrer les bénéfices de ses politiques dans de petits nombres rassemblés dans des groupes organisés et à en diluer le coût sur le plus grand nombre. La plupart des batailles politiques s’engagent sur des propositions qui n’intéressent que des regroupements circonscrits. Le politicien obtiendra par cette formule l’appui des gagnants, sans pour autant aliéner les perdants apathiques.

En réalité, on identifie dans le secteur public une approximation de ce qu’on associe à un marché. Les économistes le désignent par l’expression « échange de votes », qui traduit le terme américain « logrolling »; le discours populaire parle plutôt de participation. Supposé que toutes les décisions gouvernementales soient soumises au scrutin majoritaire direct. Chacun des citoyens voterait sur chaque mesure dans un référendum distinct, sans considération des décisions à venir ultérieurement ou prises antérieurement. Le théorème de la tendance centrale exposé précédemment s’appliquerait presque intégralement dans l’une ou l’autre des formulations que nous avons présentées. Cette théorie simplifiée expliquerait, à elle seule, presque toute la réalité politique. Les groupes d’intérêt circonscrits s’en trouveraient largement exclus. Par exemple, les agriculteurs qui comptent pour moins de trois pour cent de la population votante, ne parviendraient pas dans un référendum distinct à se faire octroyer des milliers de dollars chacun par les consommateurs qui en sont victimes. Pas plus que les contribuables n’accepteraient de se laisser exploiter par des monopoles publics factices, du type Loto Québec, Hydro Québec ou par les monopoles de la santé ou de l’éducation. L’octroi de faveurs à des groupes locaux ou minoritaires ne s’observerait que rarement.

En toute objectivité, il nous faut reconnaître que les projets de référendums, là où ils se pratiquent, renferment souvent le regroupement de multiples projets sans liens réels entre eux. Ces combinaisons n’ont de sens qu’en ce qu’elles obtiennent la faveur de la majorité, alors que chacune des composantes serait rejetée. Il s’agit manifestement d’une forme de « logrolling ». Il faut enfin ajouter que même les mesures les plus générales, tels les budgets de la santé ou de la défense, comportent des incidences différentielles sur les citoyens. Elles affectent certains individus plus que d’autres. Elles donneront donc lieu à des échanges implicites de votes.

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : appui électoral, démocratie, économiste, gouvernement, partis politiques, politiciens, pouvoirs publics, Québec, société

L’avantage démocratique aux groupes d’intérêt

Le 24 septembre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-AvantDemocr

Tous les individus et tous les groupes ne s’engageront donc pas également dans la « course aux faveurs » politiques. Nous avons déjà établi qu’une mesure même impopulaire auprès de la majorité sera retenue par les décideurs politiques si elle s’avère très populaires auprès d’une minorité. Ce qui nous a justifiés de conclure que ce n’est que par hasard que la règle du scrutin majoritaire réalise le bien commun.

La règle générale que retient l’économiste pour prédire l’intensité de la participation veut que les gens ne s’adonnent à l’action politique que dans la mesure où les bénéfices attendus des politiques recherchées l’emportent sur les coûts. Ils ne se consacrent à une initiative de lobbying, à la vie d’un comité de citoyens ou à une manifestation dans les rues, que si l’impact prévu justifie l’investissement de temps, d’énergie et d’argent que l’opération comporte. Alternativement, il s’avère difficile d’organiser un grand nombre de votants pour ou contre une mesure qui n’entraîne que des effets mineurs sur eux. Toutes les parties affectées par les choix politiques ne siègent donc pas à la table de négociation. Si la politique est l’art du compromis, elle est surtout l’art du compromis sélectif. C’est la réalité de ces coûts qui expliquent que l’action politique soit principalement le fait de groupes organisés.

Les citoyens appartiennent à des groupes multiples définis par l’occupation, l’industrie, le revenu, la géographie, l’âge ou quelque autre caractéristique. L’influence politique des groupes sert à promouvoir les intérêts de leurs membres. On peut définir les groupes d’intérêt comme des regroupements organisés de votants (ou d’entreprises) ayant des préférences semblables pour une politique spécifique. En concentrant leur lobbying sur une mesure particulière, ces groupes peuvent gagner l’adoption d’une politique qui leur vaut des bénéfices directs, tout en en diluant le coût sur des millions de contribuables ou de consommateurs. Ces groupes seront donc disposés à engager des ressources pour obtenir des mesures qui les favorisent. On désigne le fardeau de ces investissements qui ne servent qu’à opérer des transferts de richesse, comme la course aux faveurs ou aux rentes.[1] Concrètement, ces « investissements politiques » prennent la forme de contributions à la caisse électorale et à la propagande du parti, de lobbying en faveur de causes privilégiées, de marches dans les rues, de lettres aux journaux. Le processus politique n’est pas gratuit. Cette dissociation entre les bénéfices et les coûts donnera lieu à un niveau inefficace de dépenses ou de taxes. Le coût social de la politique l’emportera sur les bénéfices.

« Est-ce l’activité des groupes
qui suscite le gonflement de l’État,
ou l’expansion de la taille de l’État
qui entraîne l’activisme des groupes? »

La tradition analytique introduite par Olson (1965) explique difficilement que les groupes puissent se former. En raison du problème du « passager clandestin » (free rider), il peut s’avérer irrationnel, même pour les individus qui y gagneraient au lobbying, de participer à l’opération, puisqu’ils y gagneront de toute façon, même en s’en excluant. Autre question non parfaitement résolue : Est-ce l’activité des groupes qui suscite le gonflement de l’État, ou l’expansion de la taille de l’État qui entraîne l’activisme des groupes? (Mueller et Murrel, 1986) Il reste qu’on compte par dizaines les écrits théoriques et empiriques sur le lien entre l’activité des groupes de pression et la taille de l’État. (Ekelund et Tollison, 2001) Entre autres, Sobel (2001) construit un solide dossier empirique sur la relation positive entre les PAC (political action committees) et le budget de dépenses du gouvernement fédéral américain. Face à la majorité rationnellement silencieuse, les groupes déjà organisés jouissent d’un avantage certain. L’agriculteur membre de l’UPA sait mieux que le consommateur de lait l’étendue des contrôles exercés sur la production de cette denrée. Les dirigeants d’entreprises et leurs syndiqués connaissent mieux que leurs acheteurs les restrictions tarifaires qui les affectent. Pour une organisation déjà en place et ses lobbyistes, pour une association de producteurs, un syndicat, un regroupement de votants géographiquement circonscrits, les ressources supplémentaires à engager pour influer sur les décisions publiques restent minimes, tandis que les bénéfices peuvent s’avérer énormes.

 

[1] La mesure théorique rigoureuse de ce transfert devient pur gaspillage.

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : citoyens, classe moyenne, économie, étatisme, gouvernement, politiciens, politique, pouvoirs publics, société, votants

En démocratie, prédilection pour les services uniformisés médiocres

Le 3 juin 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-standard

La majorité qui se forme au scrutin majoritaire ne se compose pas, on l’a vu, d’un regroupement aléatoire de votants. C’est au centre de la distribution que se trouve la masse de la population d’où le politicien tire sa majorité. D’où l’expression tendance centrale pour désigner cette réalité. Les gens aux préférences non standards risquent la frustration permanente de la prise en charge d’une activité par l’État.

Cette grande sensibilité des politiciens aux préférences médianes entraînera la standardisation généralisée, l’uniformisation du service. L’égalitarisme, c.-à-d. la tendance des gouvernements à offrir à la population des quantités et des qualités identiques à tous les individus origine de cette pression en faveur du centre. Cette quantité standard et cette qualité uniformisée des services convergeront vers le niveau unique correspondant aux préférences et au revenu du votant médian. La majorité y gagne par la redistribution, mais la plupart de ceux qui la composent, à part le votant médian, restent frustrés loin de leur position optimale. La règle minimise l’insatisfaction. Contrairement au marché, qui répartit les biens et services entre les consommateurs selon l’intensité de leurs préférences et leur revenu, le mode de répartition privilégié par les pouvoirs publics est l’uniformisation des services. Que, dans la production bureaucratique, le partage se fasse par la file d’attente comme dans les rues de Montréal ou à l’hôpital, qu’elle s’opère par l’assignation de budgets uniformes comme à l’école ou à l’hôpital, l’étatisation s’accompagne invariablement de la standardisation. Elle supprime ou atténue la variété de quantités et de qualités que le marché susciterait. Discrimination fiscale et uniformisation des consommations sont un seul et même phénomène. C’est ainsi que les partis politiques ont tendance à converger vers des plates-formes qui se ressemblent, au grand scandale des puristes qui s’en formalisent. La médiocrité est la faveur que le contrôle étatique central doit à la majorité. Elle est inhérente aux règles du jeu.

Tel est le sens du théorème du votant médian auquel font appel de nombreux auteurs pour interpréter les nationalisations et réglementations incorporées aux régimes universels de services, tels l’éducation, la santé, l’assurance-chômage, les pensions de vieillesse, le transport urbain, le service postal, la tarification de l’électricité, du gaz naturel, du téléphone, pour n’en mentionner que quelques-uns. Examinons de plus près quelques applications de la « tyrannie de la majorité », de ce qu’il est convenu d’appeler l’État providence à des secteurs particuliers.

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JEAN-LUC MIGUÉ

Jean-Luc MiguéÉconomiste canadien. Maitrise de l’Université de Montréal. Ph.D. de The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Il a été professeur à l’Université Laval et est Professeur émérite à l’École nationale d’administration publique (ENAP).
Canadian economist. Master’s Degree, Université de Montréal. Ph.D., The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Was professor at Université Laval. Is now Professor Emeritus, École nationale d’administration publique, (ÉNAP) Quebec City.

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