Jean-Luc Migué, économiste Institut Fraser Profession émérite, ENAP Quebec

Senior Fellow, Institut Fraser et professeur émérite, ENAP - Senior Fellow, The Fraser Institute and professor Emeritus, ENAP, Québec.

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Domination du votant médian

Le 17 septembre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Les résultats du processus budgétaire ou réglementaire seront déterminés par le régime de sanctions et de récompenses qui encadrent les acteurs, votants, hommes d’État et bureaucrates, tout comme l’aboutissement du marché dépend des incitations qui s’exercent sur les consommateurs et les producteurs. L’examen du contexte institutionnel dans lequel s’inscrivent les choix publics constitue donc une démarche absolument essentielle à la compréhension de la place effective des pouvoirs publics dans la société.

L’économiste identifie la finalité des politiques et des institutions, non pas par les déclarations des politiciens ou le préambule des lois, mais par leur incidence effective sur le revenu des intéressés. Or, la règle première de la logique démocratique, formellement énoncée il y a plus d’un demi-siècle par Downs (1957), est de répondre aux préférences de la majorité.[1][1] C’est d’abord en conférant des bénéfices à la majorité sur le dos d’une minorité que la victoire électorale se gagne en régime de scrutin majoritaire (Buchanan et Tullock, 1962, Buchanan et Congleton, 1998 et Tullock, 1976). Le souci premier, pour ne pas dire exclusif de l’homme politique, est de gagner la course électorale et donc d’adopter la plate-forme la plus favorable au votant majoritaire, le votant médian. C’est sa façon de gagner sa vie. Comme l’homme d’affaires vis-à-vis les acheteurs, le politicien adoptera les politiques qui lui vaudront la reconnaissance du votant médian.

La demande de services publics dépend d’abord du fardeau fiscal que chaque votant s’attendra d’assumer à différents niveaux de services. A cet égard, à mesure que la quantité de services s’élève, chacun atteindra un point où il juge que l’addition de service n’en vaut plus le coût. Selon les préférences de chacun, ce niveau variera. A un prix fiscal identique, certains en voudront plus, d’autres moins. On découvre en première approximation du vote direct à la majorité que seul le votant médian (la personne au centre de la distribution) réalisera sa préférence optimale. Les votants les plus friands du service seront frustrés de n’en avoir pas assez, les votants les plus tièdes vis-à-vis du service, d’en avoir trop. C’est le sens du théorème du votant médian, où l’on compte autant d’individus qui en voudraient davantage que d’individus qui préféreraient en avoir moins. Il jouit empiriquement d’un pouvoir prédictif énorme dans toutes sortes de domaines, depuis les budgets scolaires, jusqu’aux politiques environnementales, etc.

La politisation biaise le choix public dans une première direction précise. La distribution du revenu est universellement asymétrique (il y a plus de familles qui font un revenu inférieur à la moyenne qu’il y en a qui font plus que la moyenne), c.-à-d. la majorité des familles fait un revenu (d’environ 55 000 dollars par année ou moins) inférieur à la moyenne (d’environ 73 000 dollars par année)[2][2]. La logique du votant médian peut alors se formuler dans les termes de Meltzer et Richard (1978, 1981, 1983). Les gens demandent la combinaison de taux d’imposition et de transferts (en argent ou en services) qui maximisent leur bien-être. Les individus dotés d’une productivité et donc d’un revenu inférieurs à la moyenne, c.-à-d. la majorité, opteront pour des taux d’imposition réduits et des services publics gonflés. A la limite, certains individus ne travaillent pas ou ne paient pas d’impôt sur le revenu; c’est le cas de 44% des individus dans la province de Québec. Ils seront particulièrement portés vers cette option. Donc les gens au revenu inférieur, qui forment la majorité, accorderont leur vote au candidat qui propose l’allègement du fardeau fiscal pour eux et son alourdissement pour les revenus moyens supérieurs. Entre autres, c’est en étatisant de vastes pans de l’activité économique et en recourant au financement public qu’on gagne les élections. Même si rien ne devait changer à la qualité ni à la quantité de services pris en charge par le gouvernement, une majorité de votants appuiera l’étatisation, uniquement parce qu’elle en tire des transferts de richesse de la minorité. La taille de l’État grossira

[1][1] En réalité, Condorcet, au siècle des lumières, avait déjà énoncé la thèse, mais avant l’implantation méthodique de la démarche public choice dans les années 1960, il est tombé dans l’oubli.

[2][2] Statistique Canada, Income in Canada, catalogue 75-202-XIE.

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : bureaucratique, classe moyenne, Etat, famille médiane, partis politiques, politique, pouvoirs publics, Québec, revenu médian, société

Conscience du marché, remède historique à la pensée groupiste

Le 24 juillet 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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Pour surmonter ces préjugés primitifs et le fait que la société ait évolué tellement plus vite que notre cerveau, la sagesse civilisatrice impose « l’éducation » de soi et l’analyse plutôt que la simple rationalisation facile de la pensée interventionniste. L’homme ne fait pas naturellement l’appréciation d’un mécanisme aussi vaste et complexe que le marché, tandis que l’effet direct et apparent du salaire minimum ou du contrôle des loyers exerce toujours leur fascination sur nos esprits malgré leur échec ultime incontournable. Cette démarche facile et primitive est décrite par Sowell[1] comme le fait de limiter sa réflexion au « stade un de la pensée ».

Cet instinct primaire qui nous fait béatement percevoir l’État comme le chef protecteur de la grande famille nationale a pourtant été surmonté, depuis moins de 10 000 ans, dans l’avènement du réseau complexe de coopération qu’on désigne aujourd’hui comme le marché, fondé sur la confiance entre étrangers. L’examen sérieux de cette question amène Jason Shogren à poser que c’est le commerce et la spécialisation consécutive qui sont ultimement responsables de l’existence de l’humanité. C’est par ce truchement, amorcé il y a 40 000 ans, que l’homo sapiens en serait venu à supplanter le néandertal et à s’installer comme la seule espèce humaine. Avant cette ère, selon la thèse d’un professeur de Toulouse[2], la coopération se limitait au réseau personnel des proches parents. Le partage des tâches avec des membres non génétiquement reliés et la spécialisation du travail entre membres de la même espèce mais en dehors de la famille, sont des phénomènes uniques à l’espèce humaine. C’est la capacité de calculer rationnellement les bénéfices de la coopération, de la main invisible, qui aurait suscité ce déterminant de la vie économique moderne.

De l’avis de l’auteur, cette tournure des choses s’avère la dimension la plus invraisemblable et surprenante de l’évolution. La fantastique capacité du marché de multiplier sans cesse les innovations et d’offrir une infinie variété de biens et de les répartir selon l’intensité des préférences de milliards d’acheteurs volontaires, tient du merveilleux. Et cette forme de décentralisation définit la liberté même, qui, l’histoire et l’analyse le démontrent, est inconciliable avec la planification centrale. Malheureusement, s’agissant de la perception de l’autorité, elle n’a pu faire le poids contre la vision paternaliste qui nous inspire toujours.

 

[1] Sowell, Thomas, Affirmative Action Around the World: An Empirical Study, 2004.

 

[2] Seabright, Paul, The Company of Strangers: A Natural History of Economic Life,                 Princeton University Press, mai 2004.

 

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : classe moyenne, industrialisation, revenu médian, société

Tendance centrale, non associée au revenu médian, mais à la classe moyenne

Le 24 avril 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

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De nombreux auteurs jugent non concluante la relation empirique observée entre le revenu médian et le gonflement de l’État. Peltzman (1980) est l’un d’entre eux. Il retient, bien sûr, que la finalité essentielle de la politique reste essentiellement redistributionniste. Il aboutit à la conclusion que l’État croît démesurément là où les groupes qui partagent un intérêt commun dans cette croissance deviennent plus nombreux. Les intérêts homogènes qui y gagnent à l’expansion de l’État deviennent dès lors une source plus puissante de croissance du gouvernement. Or les temps modernes, qui dans ce schéma remontent surtout aux quelque 50 dernières années, sont marqués par ce qu’il est convenu d’appeler la montée de la classe moyenne. Les Européens préfèrent désigner ce phénomène comme la montée de la « bourgeoisie », qui comporte cependant une connotation plutôt péjorative.

Quoi qu’il en soit, la signification analytique de cette évolution s’exprimerait comme suit. L’homogénéisation caractéristique de la phase récente d’industrialisation correspond au nivellement des revenus à travers, non pas nécessairement toute la population, mais une part accrue de la population, soit la classe moyenne montante. Dans ce contexte, les écarts de revenus se nivellent au centre de la distribution. C’est surtout dans le rétrécissement de l’écart entre les travailleurs qualifiés et les non qualifiés (skilled-unskilled differential) que Peltzman dépiste le nivellement des revenus. L’auteur attribue et associe ce nivellement à la fin de l’exode massif des ruraux non qualifiés vers les villes. Ce sont les groupes qui composent la classe moyenne qui partagent donc des intérêts communs. Ce bassin électoral homogénéisé et élargi appuiera l’expansion de programmes spécifiques, telles l’éducation, la santé, la sécurité de la vieillesse, qui refilent aux revenus supérieurs une part du fardeau de ses aspirations qu’il partage avec le grand nombre. C’est dans ce bassin que le politicien puisera les appuis majoritaires qui lui valent le pouvoir. « L’embourgeoisement » typique du monde occidental vient donc élargir le bassin politique favorable à l’expansion du secteur public. Les conditions sont désormais réunies pour la surexpansion du secteur public par le redistributionnisme systématique. Le paradoxe est que la plus grande égalité au centre suscite une demande politique d’égalisation toujours plus prononcée. Maintenant que la majorité des femmes appartiennent au marché du travail dans la plupart des économies avancées, la priorité contemporaine accordée aux garderies publiques s’interprète directement par cette évolution.

Cette homogénéisation de la majorité n’implique nullement que tous les membres de ce regroupement profiteront également de chaque transfert de richesse que se vote la classe moyenne. Les couples sans enfants sortent manifestement perdants de l’implantation de l’enseignement public. Les subventions aux parents d’étudiants universitaires sont en partie assumées par les pensionnés plus âgés de l’État, qui appartiennent à la même classe sociale, et vice versa. Mais le bloc immensément large de mesures que forme la majorité lui vaudra au total des gains nets qu’il arrache aux revenus moyens supérieurs, mais des gains entremêlés de toutes sortes de brimades. Dans un monde d’interventionnisme généralisé, chacun se retrouve tôt ou tard victime d’exactions par ses semblables. Au total cependant, les intérêts sont suffisamment rapprochés pour entraîner l’adhésion majoritaire.

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Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : bourgeoisie, Etat, industrialisation, Peltzman, politique, revenu médian, société

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JEAN-LUC MIGUÉ

Jean-Luc MiguéÉconomiste canadien. Maitrise de l’Université de Montréal. Ph.D. de The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Il a été professeur à l’Université Laval et est Professeur émérite à l’École nationale d’administration publique (ENAP).
Canadian economist. Master’s Degree, Université de Montréal. Ph.D., The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Was professor at Université Laval. Is now Professor Emeritus, École nationale d’administration publique, (ÉNAP) Quebec City.

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