Jean-Luc Migué, économiste Institut Fraser Profession émérite, ENAP Quebec

Senior Fellow, Institut Fraser et professeur émérite, ENAP - Senior Fellow, The Fraser Institute and professor Emeritus, ENAP, Québec.

Senior Fellow, Institut Fraser et professeur émérite, ENAP, Québec - Senior Fellow, The Fraser Institute and professor Emeritus, ENAP, Quebec.

  • Accueil
  • A PROPOS
  • Livres et publications
  • Me joindre

Ignorance rationnelle des votants

Le 9 septembre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLMigue-IgnorVotant

Le monde politique réel est plus complexe et implique plus que le geste de voter. C’est surtout ici que s’insère une proposition centrale que nous avons désignée comme l’ignorance rationnelle. Dans un régime de scrutin majoritaire, la plupart des votants choisiront de ne pas investir le temps, l’argent et l’énergie requis pour poser un vote éclairé.

Le processus qui mène aux décisions politiques n’est pas gratuit. La démocratie représentative plutôt que directe, par laquelle on délègue à des élus le soin de prendre les décisions à notre place, est née justement du souci d’économiser les frais de l’action politique. Au Canada, le taux de participation au scrutin fédéral est tombé de 75 pour cent aux six élections postérieures à 1945 à environ 60 pour cent dans les six dernières courses électorales. Le taux a décliné davantage aux élections provinciales, soit une chute d’environ 20 pour cent dans les quarante dernières années. A 35 jours de l’élection fédérale de 2004, 16% des électeurs ne connaissaient pas le nom du premier ministre du Canada. Moins de quarante pour cent des votants peuvent distinguer les notions de “droite” et de “gauche” en politique, et quand ils le peuvent, c’est d’une façon vague et nébuleuse. Ainsi, après l’élection fédérale de 2 000, c’est moins du tiers des électeurs qui plaçaient le NPD à gauche du spectre politique, et l’Alliance Canadienne à sa droite. Le tiers aussi s’avérait incapable d’identifier une seule promesse électorale des partis en lice (Vallis 2005). Au cours de la campagne de 1997, près de 60% de la population était d’avis que les Amérindiens jouissaient d’un niveau de vie comparable au reste de la société canadienne.

Les votants réalisent que leur vote n’est jamais décisif sur l’issue politique d’un scrutin majoritaire. Et de toute façon, le bénéfice qui en résulterait est de nature collective plutôt que personnel; il profite aux voisins autant qu’à soi-même. Chacun se dit que l’issue d’une élection n’est aucunement liée au fait que son vote soit éclairé ou pas. Il restera donc rationnellement ignorant de l’impact sur lui et sur la société d’une mesure gouvernementale particulière comme de l’ensemble de la plate-forme des partis. Le citoyen moyen est mieux informé sur la performance de la voiture qu’il achète que sur les quotas d’importation de voitures japonaises. D’une façon générale, il s’adonnera peu à l’activité politique, parce que la « logique de l’action collective » le convainc qu’il ne peut individuellement rien changer aux décisions publiques. (Olson 1965, Moe 1980)

Privés d’une connaissance directe de la substance des politiques, les gens s’en remettront souvent à des critères substituts comme l’idéologie, le charisme ou la popularité des leaders. Même si au total l’enjeu est grand, les gens votent mal et restent politiquement apathiques. On retrouve ainsi la majorité silencieuse. L’idéal proposé par les bien-pensants est que le vote devienne obligatoire et que les gens s’engagent à fond dans l’action politique, même à l’encontre du principe de la rationalité. La raison avancée : la participation au scrutin n’est pas un sujet d’intérêt strictement individuel mais collectif. Selon eux, sous le régime de libre scrutin, les élections ne sont pas l’expression représentative de l’opinion publique. Le vote constitue une obligation civique que chacun doit à ses concitoyens. Le scrutin libre est biaisé en faveur des personnes âgées, des blancs et des plus hauts revenus. Il est surtout biaisé parce que les partis politiques concentrent leurs efforts électoraux sur des clientèles cibles susceptibles de voter. Le dossier international sur la question est clair, reconnaissons le. Les Australiens votent à 90 pour cent, plutôt qu’a 58 pour cent, depuis l’adoption de la règle obligatoire en 1924. Mais on comprend maintenant qu’ils le font au prix d’une hiérarchisation irrationnelle de leurs ressources.[1]

Les médias évoluent pour répondre à ce défaut d’intérêt pour la chose publique. Les journaux et les ondes présentent peu de nouvelles de fonds et les analyses qu’on y trouve ne suscitent que peu d’intérêt. Ce qu’on y trouve en abondance par contre, ce sont des reportages sur les tribulations et les gloires des célébrités, sur les performances des produits et en général sur les sujets de nature utilitaire pour les individus et qui les divertissent. La logique de l’ignorance rationnelle prédit que la plupart des lecteurs ou spectateurs choisiront de ne pas investir dans la connaissance de la chose publique. Les émissions d’affaires publiques les plus réputées attirent un auditoire infime. La proportion des lecteurs de quotidiens se rétrécit. Les recherches qui se font sur l’Internet témoignent de cette prédilection généralisée pour les données qui divertissent ou qui facilitent les décisions de vente et d’achat, plutôt que pour les informations qui éclairent le sens du vote et des autres décisions collectives. (Hamilton, 2004).

[1]Une démarche récente tend à atténuer l’impact de la logique collective (Oberholzer-Gee et Waldfogel, 2005). Les groupes qui composent une fraction plus large de la population (la classe moyenne en particulier) ont tendance à participer davantage au scrutin. La raison en serait que les médias affectent plus de temps aux questions qui touchent des auditoires plus larges et ainsi contribuent à mobiliser les grands groupes.

Share

Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : partis politiques, politique, pouvoirs publics, Québec, système politique, votants

Majoritarisme, phénomène du XXe siècle.

Le 3 septembre 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-Majoritarisme

La vision courante pose que le droit le plus fondamental du citoyen est le droit de voter. La signification implicite de cette position est que tous les autres droits, dont la liberté de parole, le droit de propriété et même le droit à la vie, deviennent révocables au gré des caprices des votants. Ce n’est plus le droit individuel qui doit régir les relations sociales mais la volonté de la majorité. C’est la règle qui préside aux décisions au Zimbabwe, celle qui a conféré l’autorité ultime aux Nazis en 1932 et, dans la Grèce antique, celle qui a autorisé les élus à condamner Socrate pour ses idées impopulaires.

En réalité, les sociétés libres sont régies, non par des majorités qui régissent tout et tous, mais par des règles constitutionnelles qui assignent au gouvernement la tâche de protéger les droits individuels. Elles ne sont pas des systèmes où les factions peuvent retirer leur liberté à leurs voisins. L’essence d’une société libre n’est pas d’avoir des élections. Elle consiste à insérer l’élection dans un contexte où règne le principe absolu de la liberté individuelle.

Le majoritarisme au service du redistributionnisme est un phénomène du XXe siècle. Dans la tradition démocratique anglo-saxonne, particulièrement dans la tradition américaine, la démocratie (qu’on désignait plutôt par république) était perçue comme un mécanisme pour circonscrire le pouvoir politique. Le principe dominant de l’histoire démocratique avant le milieu du XXe siècle était la liberté individuelle. La tradition libérale classique, incarnée dans les concepteurs du fédéralisme américain, n’a jamais, avant les temps modernes, conçu la politique publique comme devant correspondre à la volonté de la majorité. Il faut dire qu’à l’époque, l’immense majorité de la population étant composée d’agriculteurs, il était inconcevable qu’une majorité imposât sa dictature. L’octroi de faveurs étatiques aux agriculteurs aurait forcément été assumé par les bénéficiaires eux-mêmes. Le majoritarisme est pourtant la direction empruntée par la politique au cours des trois derniers quarts de siècle. La suprématie de la liberté a glissé progressivement en faveur de la dictature de la majorité. Les gouvernements, sous la pression des groupes d’intérêt, ont fait face aux crises en gonflant leurs dépenses, sans les comprimer une fois la crise passée.[1][1] Comme l’écrivait de Jouvenel (1993) il y a plus d’un demi-siècle, « la démocratie totalitaire » a failli à la tâche de limiter les pouvoirs de l’État.

     [1][1]Lire sur ce sujet Holcombe, 1997.

Share

Catégorie(s) : Socio-politique

Politisation de la science et réchauffement de la planète

Le 26 août 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLMigue-RechauffPolitique

Bureaucrates, politiciens, écolos et leurs haut-parleurs dans les médias s’emploient à terroriser la population pour lui faire digérer l’intervention massive de l’État. La mortalité attribuée de façon absurde au smog sert à justifier le gaspillage gigantesque de ressources dans les moulins à vent et le transport en commun. Dans un monde d’ignorance rationnelle, les activistes peuvent rêver de nous imposer l’impossible Kyoto sous prétexte qu’il nous épargnera la dévastation future.

Le sens du protocole de Kyoto (rejeté par le Canada) fournira une deuxième illustration de la pensée grégaire et du biais rationnel en faveur de l’étatisme de la part de la masse de bonnes âmes, « des faux gentils ».[1] L’incertitude demeure sur l’origine du réchauffement climatique et surtout sur la part qu’on doit attribuer aux émissions humaines de gaz à effets de serre, plutôt qu’au magnétisme changeant du soleil, aux courants maritimes ou aux particules atomiques de la galaxie. Même si on accepte la validité de la thèse du réchauffement par l’homme, on peut dans cette matière adopter l’une ou l’autre de deux approches. La première exerce un impact direct et immédiat : faire appel à la régulation d’État pour freiner l’émission de gaz à effets de serre. On sait aujourd’hui que cette formule entraînera des coûts gigantesques, qu’elle condamnera de nombreux pays à rester pauvres, mais n’aura aucune incidence notable sur le réchauffement, tout au plus une réduction de moins de 0,1 de degré Celsius d’ici la fin du siècle.

La deuxième approche consisterait à s’en remettre à la discipline du marché pour susciter l’information et la motivation de s’adapter et de façon appropriée aux conditions nouvelles. Comme on l’a fait dans le passé d’ailleurs. Qu’on se rappelle qu’au début du XXe siècle, le problème urbain de l’heure découlait du fumier de cheval qui salissait les rues et empoisonnait l’atmosphère. C’est en peu de temps que le pétrole a évacué la question, dont la solution aurait été vraisemblablement retardée par les gouvernements du XXIe. Cette façon de faire, parce qu’indirecte, pourrait dans l’immédiat ne pas abaisser autant les émissions de CO2, mais, dans un avenir plus éloigné, elle susciterait notre adaptation aux circonstances nouvelles. Elle favoriserait l’innovation qui réduirait notre dépendance de l’énergie fossile, en même temps qu’elle garantirait la croissance et la liberté. À long terme, la logique du marché ferait plus pour ralentir le réchauffement (c’est à long terme qu’il se pose) que la méthode forte et directe de l’État. Comme pour le libre-échange, l’opération du marché reste souvent invisible et indirecte. Son modus operandi est difficilement accessible. La reconnaissance des droits de propriété et l’expansion consécutive du marché réalisent le miracle non seulement de multiplier la production de « ressources non renouvelables », mais encore de susciter l’apparition de nouvelles ressources et de nouvelles méthodes d’exploiter les anciennes.

Il faut malheureusement prévoir que telle ne sera pas l’option retenue. La flexibilité par le marché ne reçoit pratiquement pas d’appui dans le débat sur le réchauffement; peu de gens contestent que la solution doive venir du législateur. Non pas uniquement parce les bénéfices purement spéculatifs de l’action étatique auront entraîné la faveur d’un public rationnellement ignorant, mais parce que les énormes budgets bureaucratiques et les allocations de recherche comportent des avantages immédiats et concentrés dans les organisations « d’experts ». Dans un grand nombre de domaines, la science s’est politisée du fait que le financement public domine la recherche, surtout médicale et environnementale. Suivant la logique du ministre fédéral de l’environnement, c’est le consensus scientifique qu’il faut chercher désormais, non pas l’exploration de théories rivales et d’instruments concurrents associés à l’essai et l’erreur. Les agences publiques ne financent pas les théories rivales. La science et la politique sont devenues inextricablement liées, ce qui permet de passer du financement de la recherche sur le sida à l’aide internationale, de l’identification de plus de 100 oncogènes, dont aucun n’a été associé au cancer, à la régulation de tous les produits chimiques et à l’interdiction des aliments génétiquement modifiés.

Les gestes « audacieux » et immédiats se vendent mieux à un public rationnellement ignorant et inspiré par la peur, même si les bénéfices à court terme découlent exclusivement de leur apparence plutôt que de leur contribution effective à la solution d’un problème. Le politicien lui-même trouvera plus facilement dans ces gestes le moyen de s’arroger le crédit, que de solutions marchandes plus productives mais indirectes.

[1] L’expression est de Rioufol (2004)

Share

Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : bureaucratie, économie, Etat, gaz à effet de serre, gouvernement, industrialisation, pouvoirs publics, protocole de Kyoto, réchauffement climatique, société, système politique

Conscience du marché, remède historique à la pensée groupiste

Le 24 juillet 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-MarcheSoc

Pour surmonter ces préjugés primitifs et le fait que la société ait évolué tellement plus vite que notre cerveau, la sagesse civilisatrice impose « l’éducation » de soi et l’analyse plutôt que la simple rationalisation facile de la pensée interventionniste. L’homme ne fait pas naturellement l’appréciation d’un mécanisme aussi vaste et complexe que le marché, tandis que l’effet direct et apparent du salaire minimum ou du contrôle des loyers exerce toujours leur fascination sur nos esprits malgré leur échec ultime incontournable. Cette démarche facile et primitive est décrite par Sowell[1] comme le fait de limiter sa réflexion au « stade un de la pensée ».

Cet instinct primaire qui nous fait béatement percevoir l’État comme le chef protecteur de la grande famille nationale a pourtant été surmonté, depuis moins de 10 000 ans, dans l’avènement du réseau complexe de coopération qu’on désigne aujourd’hui comme le marché, fondé sur la confiance entre étrangers. L’examen sérieux de cette question amène Jason Shogren à poser que c’est le commerce et la spécialisation consécutive qui sont ultimement responsables de l’existence de l’humanité. C’est par ce truchement, amorcé il y a 40 000 ans, que l’homo sapiens en serait venu à supplanter le néandertal et à s’installer comme la seule espèce humaine. Avant cette ère, selon la thèse d’un professeur de Toulouse[2], la coopération se limitait au réseau personnel des proches parents. Le partage des tâches avec des membres non génétiquement reliés et la spécialisation du travail entre membres de la même espèce mais en dehors de la famille, sont des phénomènes uniques à l’espèce humaine. C’est la capacité de calculer rationnellement les bénéfices de la coopération, de la main invisible, qui aurait suscité ce déterminant de la vie économique moderne.

De l’avis de l’auteur, cette tournure des choses s’avère la dimension la plus invraisemblable et surprenante de l’évolution. La fantastique capacité du marché de multiplier sans cesse les innovations et d’offrir une infinie variété de biens et de les répartir selon l’intensité des préférences de milliards d’acheteurs volontaires, tient du merveilleux. Et cette forme de décentralisation définit la liberté même, qui, l’histoire et l’analyse le démontrent, est inconciliable avec la planification centrale. Malheureusement, s’agissant de la perception de l’autorité, elle n’a pu faire le poids contre la vision paternaliste qui nous inspire toujours.

 

[1] Sowell, Thomas, Affirmative Action Around the World: An Empirical Study, 2004.

 

[2] Seabright, Paul, The Company of Strangers: A Natural History of Economic Life,                 Princeton University Press, mai 2004.

 

Share

Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : classe moyenne, industrialisation, revenu médian, société

Ignorance rationnelle chez les votants

Le 15 juillet 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-IgnorVotant1

Une lourde conséquence risque de résulter de l’ignorance rationnelle des votants. Privés de l’information suffisante pour porter un jugement éclairé, les gens se laisseront guider par toutes sortes de préjugés dissociés du monde réel, mais qui leur vaut bonne conscience.

Par exemple, même s’ils ont moins d’une chance sur des millions d’influer sur l’issue d’un vote, et bien que friands des grosses voitures énergivores, ils appuieront les régulations qui les bannissent, si la satisfaction psychologique qu’ils dégagent de leur contribution présumée à l’environnement leur vaut le moindre contentement. S’ils ont le moindre préjugé que la médecine socialisée exprime leur sens de la solidarité, ils opteront, en tant que votant individuel parmi des millions, pour le parti qui la propose, et accepteront rationnellement d’ignorer les milliers de dollars qu’ils sacrifieront en liberté de choisir, en fiscalité allégée ou en accès plus sûr aux technologies médicales. Le jihad engagé ces dernières années contre le tabac par la majorité devenue non fumeur découle de cette logique; même les fumeurs se culpabilisent de leurs habitudes devenues honteuses et appuient les régulations qui les tyrannisent. Dans nos comportements de votants ignorants, la facilité est de voter de façon irrationnelle si on peut en dégager une satisfaction infime.

Qui prétendra que la satisfaction d’appuyer les mesures qui appellent à la sympathie ou à la vertu soit absente de la faveur dont jouissent des programmes politiques comme le salaire minimum, les monopoles syndicaux, les espèces menacées, la ferme familiale ou le café équitable qui ne résout rien ? Dans le cas limite, on se retrouvera dans un contexte où la sexagénaire aura à voter sur le droit à l’avortement. Elle se prononcera dès lors sur une initiative qui n’aura que peu d’incidence personnelle sur sa vie, mais qui affectera profondément la vie personnelle de ses voisins.

En même temps qu’il exploite les minorités pour octroyer ses faveurs à la majorité, le politicien s’emploiera à camoufler le coût de ses programmes aux masses qu’il veut servir. Le rationnement physique est la formule privilégiée par la logique politico-bureaucratique pour influer sur le comportement des consommateurs. Cette façon grossière de contenir les coûts n’est attrayante aux politiciens que parce qu’elle camoufle les vrais coûts aux consommateurs. En supprimant un lit d’hôpital, on retarde une intervention chirurgicale sans que le patient ne sache que la procédure aurait pu se faire si le lit avait été disponible.

Nos institutions démocratiques mènent à la prise de décisions non informées, capricieuses et souvent incohérentes. Par suite de l’ignorance rationnelle des votants, la politique est l’industrie la plus propice au mensonge. C’est le sens que donne le Lauréat Nobel d’économie James Buchanan à ce biais : les contraintes au pouvoir de l’État s’estompent, opine-t-il, lorsque le motif de ses actions est de réaliser notre bien, fût-ce par la coercition.[1] Selon le mot d’un observateur, dans la formulation des choix politiques, la démagogie l’emportera souvent sur les données objectives.

[1] Buchanan, J. M. et J. Brennan, The Power to Tax, Cambridge University Press, 1979.

Share

Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : classe moyenne, pouvoirs publics, Québec, société, système politique, votants

Ignorance rationnelle et pensée groupiste en politique

Le 9 juillet 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-RationnelGroupiste1

L’ignorance rationnelle est la source d’un autre travers politique universel qu’une récente tradition d’analyse désigne par ce qu’on pourrait appeler la pensée groupiste et qui traduit ce que les analystes américains désignent par l’expression informational cascade.[1] La démarche consiste à découvrir pourquoi les gens en viennent à penser la même chose sur une question et à se comporter comme un troupeau de moutons. Pourquoi par exemple et les fumeurs et les non-fumeurs surévaluent le risque de la cigarette? Pourquoi un sondage Canwest découvre-t-il en 2006 que 22% des Canadiens, 26% des 18-34 ans, attribuent l’acte terroriste du 11 septembre 2001 à une conspiration américaine? D’une façon plus liée à notre propos, pourquoi le public valorise en majorité le régime d’État providence qui nous encadre depuis plus d’une génération.

Dans l’impossibilité d’acquérir toute l’information nécessaire à la vie en société, les gens retiendront l’information transmise par les opinions et les comportements de leurs voisins, l’information publique pour ainsi dire. La réputation des produits et, d’une façon encore plus directe, le langage politiquement correct, reposent souvent sur cet instinct grégaire. La grande diffusion d’une information devient souvent aux yeux des gens le gage de sa validité. En empruntant cette voie facile, les gens ne font pas qu’économiser leur temps et leurs efforts; ils acquièrent une bonne réputation. Ils n’hésiteront souvent pas à falsifier leurs profondes préférences pour faire comme les autres et se faire accepter. Dans un monde politisé, nous devenons spontanément conformistes, « suiveux ».

Comme le veut le dicton, quand tout le monde pense de la même façon, personne ne pense beaucoup. Pourquoi, demandera-t-on, les peuples se tournent-ils invariablement vers l’État pour régler des problèmes que les gouvernements ne font traditionnellement qu’empirer? En tant qu’économiste et en conséquence de la démarche que nous exposons, nous interprétons généralement la vision conventionnelle de l’État comme la rationalisation des intérêts mis en cause dans les décisions publiques. Cette explication s’inscrit dans le prolongement d’une autre tradition didactique. La « psychologie évolutionnaire » offre son interprétation qui peut servir d’assise génétique à la démarche de l’économiste. Selon cette discipline, l’évolution du cerveau humain jusqu’à l’homo sapiens sapiens s’est faite au cours de centaines de milliers d’années, dans un contexte donc où le milieu de vie s’avérait infiniment moins complexe qu’avant l’avènement des grandes civilisations, de la civilisation industrielle en particulier. La demande ne s’exprimait alors guère plus que par un grognement, et l’offre par une pièce de viande. Le gouvernement se composait dans ce contexte de chefs de tribus qui comptaient quelques dizaines de personnes composés de parents, au mieux de quelques riches qui devaient leur fortune au pillage et à l’oppression. La dimension à souligner est que les relations entre les composantes de la communauté restaient personnalisées, familiales. L’autorité se présentait comme le père protecteur et bienveillant de ses proches. Sans qu’on s’en rende compte, cette façon de voir resterait inscrite dans nos gènes. Bien que parfaitement inadaptée, elle inspirerait encore notre vision de notre relation avec l’État, pour notre plus grand malheur. Nous serions programmés pour devenir socialistes par défaut.

Ajoutons qu’enfants, nous grandissons tous dans une mini économie socialiste. L’économiste McCloskey[2] notait qu’il est difficile d’enseigner la théorie des marchés à des adolescents de dix-huit ans ou moins qui ont connu surtout le ménage de leur naissance, tel que planifié par leurs parents et reposant sur la loyauté plutôt que la concurrence. Les relations y sont communales et altruistes. L’autorité des parents valide l’interprétation et la justification des choses. L’histoire de la philosophie des gouvernements regorge de métaphores qui interprètent la société comme une famille et l’État comme les parents.

[1] Pierre Lemieux en a fait récemment la synthèse dans une réflexion parue dans Le Québécois Libre, (numéro 133, novembre 22, 2003).

[2] McCloskey, D. N., How to Be Human: Though an Economist, University of Michigan        Press, Ann Arbor, 2000.

 

Share

Catégorie(s) : Socio-politique

Ignorance rationnelle chez les politiciens et les membres de la classe influente

Le 1 juillet 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-Rationnel

Chez les politiciens

De leur côté, les hommes d’État et les administrateurs publics ne subissent pas les conséquences directes de leurs décisions. L’enjeu d’une mauvaise allocation des soins pour eux est minime. Ils jouissent en contrepartie du pouvoir énorme de déterminer ce qui sera consommé par la population. Leurs décisions sont déterminantes. Comme l’enjeu à leurs yeux est moins grand que pour le consommateur lui-même, ils feront des choix moins appropriés que l’usager qui jouirait de la même information.

 Chez les membres de la classe influente

 À la limite, certains agents du processus politique seront à la fois indifférents à l’enjeu en cause et impuissants à affecter l’issue d’une décision. Les deux déterminants du choix rationnel sont pour eux absents. Nous venons d’exposer la position de ce qu’il est convenu d’appeler les intellectuels, les universitaires, les gens des médias et en général les critiques sociaux. Ces personnes ont encore moins que le votant ou l’homme public d’incitation à acquérir l’information pertinente. Cette catégorie de gens est presque invariablement anticapitaliste et pro interventionniste. Le premier facteur à l’origine de cette position idéologique est sans doute leur ignorance profonde des premiers principes de l’ordre social, de l’ordre économique en particulier. A ceux qui en douteraient nous suggérons d’examiner la logique qui sous-tend la position de cette élite dans des sujets aussi simples et pratiques que le contrôle des loyers (un fiasco pour les pauvres, mais partout associé à la solidarité), la croissance du secteur public (l’État et donc la solidarité se rétréciraient sous l’influence de la globalisation et la domination des « néo-libéraux »), le fardeau fiscal assumé par les riches (ils ne paieraient pas d’impôt; alors qu’en fait ils assument plus de 30% du fardeau), la détérioration alarmante de l’environnement (en fait il s’améliore constamment), le contrôle des armes à feu, perçues à tort comme source de criminalité.

La deuxième interprétation qu’on peut offrir de leur opinion découle de leur position de conflit d’intérêt permanent. La plupart d’entre eux, dont les universitaires en particulier, reçoivent l’essentiel de leur revenu des gouvernements. Dans les humanités et les sciences sociales, c’est le refrain socialiste et anti capitaliste qui se chante presque universellement. L’alourdissement des taxes, l’expansion de l’État, la discrimination positive, combinés à l’anti américanisme annonciateur de la chute prochaine de « l’empire américain », constituent les éléments du programme scolaire généralisé de nos universités « progressistes » et en général de nos institutions d’enseignement. De plus, l’envahissement de l’État fonde l’essentiel de leur pouvoir d’influence sur l’évolution sociale. Comparez le rôle des médias et des universitaires dans un contexte de décision personnalisée par un ministre, aux forces impersonnelles de l’action du marché. Mesurez leur impact selon que la hausse d’un prix (de l’électricité par exemple) provienne de la décision proclamée par un ministre ou de l’action de l’offre et de la demande. L’opinion publique sur laquelle ils exercent une forte influence ne joue aucun rôle sur les forces et les raretés réelles qui déterminent l’aboutissement du marché.[1] Les canaux politiques conventionnels de redressement que sont le vote, les lettres aux journaux, et en général l’action politique, n’offrent manifestement pas au citoyen des instruments très puissants pour influer en sa faveur sur les agissements du fournisseur public.

[1] La vision conventionnelle de l’État qui inspire cette classe s’est incarnée le plus clairement au Canada dans la pensée de deux maîtres de l’écriture, Claude Ryan au Québec et Margaret Atwood au Canada anglais.

Share

Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : bourgeoisie, bureaucratique, économie, politique, Québec, société, système politique

Ignorance rationnelle et choix politiques en démocratie

Le 24 juin 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-IgnorRationn

Introduisons dès maintenant un concept central de la théorie économique de la politique, l’ignorance rationnelle.[1]

Lorsqu’un individu achète une voiture, les deux conditions à l’adoption du choix rationnel sont remplies : le choix individuel est décisif et l’enjeu personnel est grand. Son intérêt de consommateur est de choisir la voiture qui lui convient le mieux. La prudence et le grand soin s’imposent à lui. Il acquerra rationnellement l’information optimale. Supposé maintenant que la marque de voiture qu’il conduira soit déterminée, non par son choix particulier, mais à la majorité. L’enjeu pour lui reste aussi grand, mais son pouvoir sur les caractéristiques de la voiture qu’il obtiendra devient pratiquement nul. Il perd tout intérêt à acquérir l’information pertinente à l’achat.

Il s’ensuit souvent qu’une large fraction de la population ne saura jamais qu’une institution ou une mesure législative leur inflige des dommages réels. Les politiciens sont conscients de cette lacune et concevront leurs politiques pour attirer des votants mal informés.

[1] Les réflexions qui suivent s’inspirent surtout de Boudreaux, Donald J. et Eric Crampton, « Truth and Consequences: Some Economics of False Consciousness », The Independent Review, été 2003, pp. 27-46.

 

Share

Catégorie(s) : Socio-politique

En démocratie, prédilection pour les services uniformisés médiocres

Le 3 juin 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-standard

La majorité qui se forme au scrutin majoritaire ne se compose pas, on l’a vu, d’un regroupement aléatoire de votants. C’est au centre de la distribution que se trouve la masse de la population d’où le politicien tire sa majorité. D’où l’expression tendance centrale pour désigner cette réalité. Les gens aux préférences non standards risquent la frustration permanente de la prise en charge d’une activité par l’État.

Cette grande sensibilité des politiciens aux préférences médianes entraînera la standardisation généralisée, l’uniformisation du service. L’égalitarisme, c.-à-d. la tendance des gouvernements à offrir à la population des quantités et des qualités identiques à tous les individus origine de cette pression en faveur du centre. Cette quantité standard et cette qualité uniformisée des services convergeront vers le niveau unique correspondant aux préférences et au revenu du votant médian. La majorité y gagne par la redistribution, mais la plupart de ceux qui la composent, à part le votant médian, restent frustrés loin de leur position optimale. La règle minimise l’insatisfaction. Contrairement au marché, qui répartit les biens et services entre les consommateurs selon l’intensité de leurs préférences et leur revenu, le mode de répartition privilégié par les pouvoirs publics est l’uniformisation des services. Que, dans la production bureaucratique, le partage se fasse par la file d’attente comme dans les rues de Montréal ou à l’hôpital, qu’elle s’opère par l’assignation de budgets uniformes comme à l’école ou à l’hôpital, l’étatisation s’accompagne invariablement de la standardisation. Elle supprime ou atténue la variété de quantités et de qualités que le marché susciterait. Discrimination fiscale et uniformisation des consommations sont un seul et même phénomène. C’est ainsi que les partis politiques ont tendance à converger vers des plates-formes qui se ressemblent, au grand scandale des puristes qui s’en formalisent. La médiocrité est la faveur que le contrôle étatique central doit à la majorité. Elle est inhérente aux règles du jeu.

Tel est le sens du théorème du votant médian auquel font appel de nombreux auteurs pour interpréter les nationalisations et réglementations incorporées aux régimes universels de services, tels l’éducation, la santé, l’assurance-chômage, les pensions de vieillesse, le transport urbain, le service postal, la tarification de l’électricité, du gaz naturel, du téléphone, pour n’en mentionner que quelques-uns. Examinons de plus près quelques applications de la « tyrannie de la majorité », de ce qu’il est convenu d’appeler l’État providence à des secteurs particuliers.

Share

Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : bureaucratique, classe moyenne, étatisme, politiciens, politique, pouvoirs publics, Québec, société, votants

Jeu à somme nulle en faveur de la classe moyenne

Le 28 mai 2015 par Jean-Luc Migué Laisser un commentaire

JLM-ClassMoyenn2

On peut maintenant dégager de l’analyse économique de la politique une proposition empirique générale. L’interventionnisme profitera principalement aux gens de la classe moyenne, non pas aux défavorisés comme le postule la vision conventionnelle, ni aux riches, comme l’enseigne la tradition marxiste. C’est moins de 10% du budget public qui profite vraiment aux pauvres.[1]

Le théorème de la tendance centrale enseigne que le mécanisme politique donne lieu à des coalitions majoritaires successives de votants ayant pour objet exclusif, non pas d’augmenter la richesse et d’améliorer le bien-être général, mais d’opérer des prélèvements sur l’ensemble de la population pour octroyer des transferts à des sous-groupes particuliers, fussent-ils majoritaires. Un jeu à somme nulle. La richesse n’augmente pas; elle n’est que redistribuée. Du vol légal, en somme. La règle d’un homme une voix, combinée à la « liberté d’entrer » dans l’arène politique, implique que toute personne et sa propriété personnelle sont mises à la portée de toutes les autres, et ouvertes au pillage. En ouvrant les couloirs du pouvoir politique à tout le monde, la démocratie fait du pouvoir politique une propriété collective, où personne ne souhaite qu’il soit restreint parce chacun espère avoir la chance de l’exercer. Les fumeurs de ce début de siècle en savent quelque chose, eux qui subissent les foudres de l’hystérie des non-fumeurs devenus majoritaires.

Le survol rapide que nous ferons de l’histoire contemporaine confirme que la croissance des gouvernements est un phénomène récent qui remonte aux années 30. Dans la perspective d’une interprétation analytique du phénomène, il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’avant cette époque les démocraties imposaient des conditions restrictives d’accès au suffrage : Une forme de propriété était requise, et donc les votants jouissaient de revenus supérieurs à la moyenne; l’âge du droit de voter était de 21 ans et donc les plus bas revenus s’en trouvaient exclus; les femmes, qui faisaient des revenus inférieurs, étaient aussi exclues du processus de scrutin. Notre intention n’est pas de porter un jugement sur ces exclusions, mais de montrer qu’en abaissant le revenu de la majorité des votants, on a favorisé le glissement vers le redistributionnisme accru.

 

[1] Vaillancourt, F., La répartition des revenus et la sécurité économique au Canada: un          aperçu, Commission Macdonald, 1986, pp. 1-87.

 

Share

Catégorie(s) : Socio-politique Étiqueté : bourgeoisie, classe moyenne, coalition, droit de vote, interventionnisme, partis politiques, société

  • « Page précédente
  • 1
  • 2
  • 3
  • Page suivante »

ÉCONOMIE ET POLITIQUE

ÉCONOMIE ET POLITIQUE
Suivez-moi sur Facebook

ABONNEZ-VOUS À NOTRE INFOLETTRE

Recevez notre infolettre vous informant des derniers articles parus de Jean-Luc Migué.

Articles récents

  • Histoire: la France nous a-t-elle reniés?
  • Règles constitutionnelles restrictives, indispensables à la démocratie
  • Conclusion: Le capitalisme, seule source de la hausse du niveau de vie
  • Histoire de l’étatisme en Occident
  • A compter des années 1960 au Québec, étatisme asservissant

Articles des derniers mois

  • mai 2018 (1)
  • juillet 2016 (3)
  • juin 2016 (2)
  • mai 2016 (4)
  • avril 2016 (4)
  • mars 2016 (5)
  • février 2016 (4)
  • janvier 2016 (4)
  • décembre 2015 (4)
  • novembre 2015 (4)
  • octobre 2015 (5)
  • septembre 2015 (4)
  • août 2015 (4)
  • juillet 2015 (5)
  • juin 2015 (4)
  • mai 2015 (4)
  • avril 2015 (5)
  • mars 2015 (4)
  • février 2015 (4)
  • janvier 2015 (3)

JEAN-LUC MIGUÉ

Jean-Luc MiguéÉconomiste canadien. Maitrise de l’Université de Montréal. Ph.D. de The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Il a été professeur à l’Université Laval et est Professeur émérite à l’École nationale d’administration publique (ENAP).
Canadian economist. Master’s Degree, Université de Montréal. Ph.D., The American University, Washington, DC. Senior Fellow, Fraser Institute, Vancouver. Was professor at Université Laval. Is now Professor Emeritus, École nationale d’administration publique, (ÉNAP) Quebec City.

Mes articles ce mois-ci

juin 2025
L M M J V S D
« Mai    
 1
2345678
9101112131415
16171819202122
23242526272829
30  

Copyright © 2025 JEAN-LUC MIGUÉ · Tous droits réservés
Conception et développement : Dumas Marketing - Programmations : CP Concept