Autre coût inhérent au marché politique en régime démocratique : les distorsions économiques introduites dans l’allocation des ressources par les taxes et les transferts suscités par les groupes. Mais tel que souligné par Garry Becker, par l’effet de ces mêmes distorsions, l’appesantissement fiscal découlant de l’action d’un groupe entraîne l’engagement de pressions accrues de la part d’un autre groupe, celui des contribuables ou des consommateurs, pour y résister.
Les distorsions inhérentes aux taxes et transferts inefficaces favorisent l’engagement d’efforts supplémentaires des contribuables en faveur de l’allègement fiscal, gênant ainsi les efforts des bénéficiaires en faveur de transferts accrus. Dans la mesure où les distorsions fiscales augmentent à mesure que le fardeau fiscal par tête s’appesantit, l’opposition des contribuables et des consommateurs aux faveurs des groupes s’amplifie. Le marché des influences politiques confère ultimement l’avantage à ces derniers dans la concurrence pour l’accès à l’influence politique. Le redistributionnisme en faveur des groupes d’intérêt comporte sa limite ultime.
Même dans un monde dominé par les groupes de pression, par opposition aux votants, aux bureaucrates ou aux politiciens, la pression reste donc constante en faveur de taxes et de transferts moins inefficaces. Cette tendance améliore à la fois la position des bénéficiaires de faveurs et des contribuables et consommateurs. Les groupes défavorisés par l’action politique qui abaisse l’efficacité jouissent d’un avantage intrinsèque ultime dans la concurrence, tout comme les groupes qui bénéficient d’activités qui élèvent l’efficacité ont finalement l’avantage sur ceux qui l’abaisseraient.
« La résistance des contribuables
et consommateurs à la hausse des taux
de taxation s’atténue lorsque les taxes
sont plus efficaces. »
Le corollaire implicite de la thèse Becker est que la redistribution qui s’opère sur une vaste échelle par l’action des groupes d’intérêt se fait de façon efficace. Les politiques redistributionnistes efficaces ont plus de chance d’être adoptées que les moins efficaces. La résistance des contribuables et consommateurs à la hausse des taux de taxation s’atténue lorsque les taxes sont plus efficaces. C’est par cette logique que Becker explique le recours à des méthodes indirectes et paradoxales d’octroi de faveurs. Par exemple, pourquoi passer par les tarifs douaniers ou les quotas contre les voitures japonaises pour offrir des salaires supra concurrentiels aux membres du monopole syndical de l’auto? Pourquoi ne pas opter pour le libre-échange des automobiles pour ensuite verser des allocations publiques directes aux employés en question. La réponse est qu’une fois le monopole syndical concédé par l’État, les distorsions économiques supplémentaires introduites par le protectionnisme s’avèrent moins lourdes pour la société que les pertes d’emplois et de salaires des membres du syndicat.
Mais le redistributionnisme par l’État en faveur des groupes les plus puissants ne s’en pratique pas moins sur une vaste échelle. L’interaction des lobbys d’intérêt accroît leur pouvoir et ultimement les budgets de taxes et de dépenses. C’est le sens d’une deuxième contribution de Becker (Becker et Mulligan 2003) à l’analyse économique de la politique. Même lorsque, pour hausser leur impact politique, les groupes favorisent l’efficacité dans la redistribution, ils se trouvent par la même occasion à gonfler le budget, et de dépenses et de taxes, et les régulations. C’est ainsi que la réforme fiscale associée à l’impôt proportionnel (flat tax) comporte moins d’avantages économiques que supposé, du fait de l’expansion consécutive du secteur public. De même les bénéficiaires de faveurs publiques intensifieront leur action politique si les subventions qu’ils reçoivent sont moins inefficaces. Donc par ce truchement, la taille de l’État s’élève aussi. L’aboutissement ultime en est que la taille de l’État grandit au-delà de l’optimum du fait même de la plus grande efficacité des groupes.
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