Sans retenir la position limite retenue par Becker pour des fins de démonstration, on peut supposer qu’en régime démocratique les groupes de pression ne négocient pas nécessairement entre eux les échanges de faveurs qu’ils voudront obtenir. C’est plutôt le politicien qui assumera la tâche d’opérer ces arbitrages entre les groupes. C’est lui, le politicien, ou le parti politique qui exerce le rôle parallèle à celui du manager de l’entreprise commerciale dans la vaste entreprise monopolistique qu’est la décision démocratique.
Tout comme le manager de la firme est embauché pour promouvoir les intérêts des actionnaires, les politiciens et les bureaucrates sont embauchés pour promouvoir les intérêts collectifs des groupes de pression. Et justement, tout comme les managers commerciaux acquièrent du pouvoir de la séparation de la propriété et du contrôle (relation agent-principal), de même les politiciens jouissent de pouvoirs étendus en tant qu’agents des électeurs. Nous emprunterons donc une analyse plus générale pour incorporer le rôle de ces agents dans le marché politique.
Par analogie avec le manager de l’entreprise qui s’emploie à réaliser les intérêts des actionnaires, l’homme politique adoptera les programmes ou les lois les mieux réglées sur les intérêts des groupes actifs, les plus susceptibles d’apporter le support financier indispensable, de monter une publicité effective et souvent de susciter l’endossement de leaders éminents. Pour attirer l’appui électoral et réduire l’opposition au maximum, le politicien visera à concentrer les bénéfices de ses politiques dans de petits nombres rassemblés dans des groupes organisés et à en diluer le coût sur le plus grand nombre. La plupart des batailles politiques s’engagent sur des propositions qui n’intéressent que des regroupements circonscrits. Le politicien obtiendra par cette formule l’appui des gagnants, sans pour autant aliéner les perdants apathiques.
En réalité, on identifie dans le secteur public une approximation de ce qu’on associe à un marché. Les économistes le désignent par l’expression « échange de votes », qui traduit le terme américain « logrolling »; le discours populaire parle plutôt de participation. Supposé que toutes les décisions gouvernementales soient soumises au scrutin majoritaire direct. Chacun des citoyens voterait sur chaque mesure dans un référendum distinct, sans considération des décisions à venir ultérieurement ou prises antérieurement. Le théorème de la tendance centrale exposé précédemment s’appliquerait presque intégralement dans l’une ou l’autre des formulations que nous avons présentées. Cette théorie simplifiée expliquerait, à elle seule, presque toute la réalité politique. Les groupes d’intérêt circonscrits s’en trouveraient largement exclus. Par exemple, les agriculteurs qui comptent pour moins de trois pour cent de la population votante, ne parviendraient pas dans un référendum distinct à se faire octroyer des milliers de dollars chacun par les consommateurs qui en sont victimes. Pas plus que les contribuables n’accepteraient de se laisser exploiter par des monopoles publics factices, du type Loto Québec, Hydro Québec ou par les monopoles de la santé ou de l’éducation. L’octroi de faveurs à des groupes locaux ou minoritaires ne s’observerait que rarement.
En toute objectivité, il nous faut reconnaître que les projets de référendums, là où ils se pratiquent, renferment souvent le regroupement de multiples projets sans liens réels entre eux. Ces combinaisons n’ont de sens qu’en ce qu’elles obtiennent la faveur de la majorité, alors que chacune des composantes serait rejetée. Il s’agit manifestement d’une forme de « logrolling ». Il faut enfin ajouter que même les mesures les plus générales, tels les budgets de la santé ou de la défense, comportent des incidences différentielles sur les citoyens. Elles affectent certains individus plus que d’autres. Elles donneront donc lieu à des échanges implicites de votes.
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