Le trait distinctif de notre régime est que ce sont les citoyens de chaque circonscription qui choisissent l’individu qui les représentera au parlement. Sous la règle de la représentation proportionnelle par contre, les citoyens n’élisent pas un représentant spécifique dans chaque circonscription. En fait, ils ne votent pas pour le candidat de leur choix. Ils déposent plutôt deux votes, dont l’un en faveur d’un parti politique qui, comme ses concurrents, aura offert sa liste de candidats à l’appui des votants.
Plus le parti obtient de votes dans un territoire, plus le nombre de candidats élus est grand pour le parti. Ce qui signifie que les candidats placés en tête de liste sont presque assurés de leur élection. C’est donc le parti plutôt que l’électorat qui détermine l’ordre de la liste des candidats. Il s’avère souvent impossible pour les votants d’expulser un leader impopulaire, un ministre ou quelque autre politicien éminent mais détesté. On comprend donc que la formule obtienne l’oreille attentive des partis, surtout des partis marginaux qui moyennant 5 ou 10% d’appui peuvent désormais participer à l’exercice du pouvoir. Elle s’avère aussi populaire auprès des activistes des partis établis, qui obtiennent ainsi à la place des électeurs le pouvoir de définir la composition du parlement. Les fétiches à la mode, dont le nombre de femmes, la composante ethnique, religieuse ou l’orientation sexuelle, ont alors plus de chance de s’exprimer explicitement à l’assemblée des élus. Il importe enfin de souligner que la proportionnelle n’a nulle part remédié à la désaffection de la population vis-à-vis du système politique et qui s’exprime dans la chute constante du taux de participation au scrutin. Comme le prouve le rapport d’une commission britannique[1], le phénomène de désillusion est commun aux pays d’Europe régis par la proportionnelle et aux régimes régis par le vote uninominal.
Dans cette perspective, le projet de représentation proportionnelle avancé en 2005 en Colombie Britannique comportait certaines particularités qui avaient spécifiquement pour objet d’atténuer ces risques. Entre autres, l’identité des candidats choisis pour représenter les circonscriptions n’aurait pas été désignée à partir d’une liste établie par le parti, mais par les électeurs eux-mêmes grâce à leur vote transférable qui aurait classé les candidats dans l’ordre de leurs préférences (1, 2, 3) (à l’exemple de l’Irlande). Les votants auraient donc voté pour des candidats, non pas pour des partis; la représentation locale aurait été sauvegardée. Le statut du député y aurait gagné au détriment du parti, celui du challenger au détriment du candidat en place, et sans doute d’une façon générale, le statut du votant au détriment de la classe politique. Peut-être s’avère-t-il possible d’avoir les avantages de la représentation proportionnelle, sans pour autant souffrir de l’instabilité italienne ou israélienne.
Dans une perspective plus fondamentale et à plus long terme, il est pertinent de rappeler le trait suivant des régimes électoraux de l’histoire démocratique : Les pays régis par le régime uninominal ont au cours de l’histoire fait preuve d’une plus grande stabilité que les pays où la proportionnelle avait cours. On le conçoit aisément, en ce que la proportionnelle favorise la fragmentation des partis en une gamme de camps idéologiques, ce qui suscite plus directement l’intolérance et l’extrémisme. La France en est peut-être la plus claire illustration, elle qui en est revenue d’ailleurs au régime uninominale (à deux tours cependant) aux élections nationales. La république Weimar en Allemagne était le produit de la représentation proportionnelle et n’a pas su résister à la montée du nazisme. Il faut dire en contrepartie que, sous un régime de représentation proportionnelle, l’Allemagne a connu un demi siècle de performance économique exceptionnelle après la guerre. On ne peut pas dire non plus que des pays comme la Suède, l’Irlande, la Suisse, la Nouvelle-Zélande ou l’Allemagne souffrent de gouvernements trop faibles. Les démocraties américaine, britannique et même canadienne ont fait preuve de plus de résilience dans la résolution des plus graves crises. Sans compter qu’aux yeux de l’économiste, la stabilité s’avère la condition indispensable au maintien et à l’importation du capital indispensable à la croissance. Il n’est peut-être pas exagéré d’affirmer que c’est partiellement la stabilité des régimes qui explique que les pays anglo-saxons aient connu les économies les plus ouvertes au monde. Reconnaissons par contre que la démocratie américaine fonctionne souvent comme un gouvernement de coalition, où les budgets et les initiatives législatives doivent régulièrement recueillir l’appui des deux partis dans les deux Chambres.
[1] Independent Commission to Review Britain’s Experience of PR Voting Systems. The Constitution Unit, Londres 2003.
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