Le tableau qui suit, reproduit de Gwartney et Stroup (1997, p. 503) mais inspiré à l’origine par Tullock (1959), offre une représentation simplifiée du processus d’échange de votes entre 5 groupes qui se distinguent, dans ce cas particulier, par leur localisation géographique. Trois projets de dépenses, la construction d’un bureau de poste dans le territoire A, d’un quai en B et d’une base militaire en C, font l’objet d’un vote par les 5 représentants des territoires concernés.
L’évaluation qu’en font les populations des 5 territoires révèle qu’aucun des projets n’est rentable; le bénéfice « social » de chacun des investissements s’avère inférieur de 2 dollars au coût (dernière ligne), et aboutit ainsi à une perte nette globale de 6 dollars (dernière colonne). Si chacun des projets était soumis séparément au vote, aucun des projets ne serait retenu; chacun serait rejeté par un vote de 4 contre 1. En combinant les trois initiatives en un seul vote, les trois gagnants, A, B et C, peuvent échanger leur vote et entraîner l’adoption de cette législation particulière dans un vote de 3 contre 2. La dépense publique et donc la taille de l’État viennent d’augmenter au-delà de l’optimum.
On notera que le résultat obtenu découle de ce que le gouvernement détient le monopole des services en question. Et il se comporte en monopole en ce qu’il combine les trois propositions en une seule, ce qui lui permet de rallier l’accord d’une majorité aux dépens de la minorité. En langage technique, on dit qu’il discrimine par le prix (fiscal) en faveur de la majorité. En concentrant les bénéfices de cette concoction de mesures sur la majorité localement circonscrite, pour en diluer le coût sur l’ensemble des contribuables apathiques, le politicien rallie plus de votes qu’il n’en perd. On devine à la lecture du tableau l’appui enthousiaste que les constructeurs de bureaux de poste, de quais et de bases militaires accorderont à cette forme de transferts.
Échange de votes et taille de l’État
(Bénéfices et coûts nets de chacun des votants locaux en $)
VOTANTS DE CHAQUE LOCALITÉ |
A
|
B
|
C
|
TOTAL |
A | +10 | -3 | -3 | +4 |
B | -3 | +10 | -3 | +4 |
C | -3 | -3 | +10 | +4 |
D | -3 | -3 | -3 | -9 |
E | -3 | -3 | -3 | -9 |
Total | -2 | -2 | -2 | -6 |
La course aux faveurs politiques, c.-à-d. la concurrence que se font les groupes de pression pour redistribuer la richesse en leur faveur est donc souvent destructrice de richesse. L’échange au service de la redistribution abaisse le revenu global. L’abolition de tous les privilèges, par la compression des budgets par exemple, améliorerait le sort de tout le monde, parce que le coût de toutes les faveurs combinées l’emporte sur les bénéfices obtenus. Le malheur veut que mon bénéfice particulier serait encore plus grand si tous les privilèges étaient abolis à l’exception de ceux qui me profitent à moi personnellement. Comme cette conclusion vaut pour tous et chacun, la compression des budgets de faveurs ne se fait pas.[1] Comme remède partiel à ces maux inhérents au processus politique, nous dégagerons le précepte que l’adoption d’une règle de majorité qualifiée (supérieure à 50% plus un) atténuerait ce travers des choix publics.
Ce qui nous ramène aux considérations déjà énoncées sur l’imperfection relative du marché politique et du marché économique. Il s’avère que nous avions raison de rejeter la position facile des économistes conventionnels et qui font libéralement appel à l’État pour corriger les imperfections du marché. S’il est vrai que le coût d’arriver à une décision dans le marché politique s’avère plus lourd pour les citoyens que dans le marché tout court, il devient presque toujours contre-indiqué de faire appel à l’État pour redresser une défaillance du marché.
Cette argumentation explique en même temps l’hostilité des politiciens au principe du référendum, des initiatives populaires. La démocratie directe retirerait aux politiciens les outils indispensables au maquignonnage qu’ils pratiquent pour gagner les votes en régime de démocratie représentative. Nous soutiendrons ultérieurement que les initiatives populaires pourraient occuper une place grandement plus large dans l’arène politique pour freiner la puissance des groupes d’intérêt et renforcer la voix des simples citoyens.
[1] On donne à ce phénomène le nom de « dilemme du prisonnier ».