Pour isoler le rôle spécifique des groupes de pression, c.-à-d. pour des fins analytiques, Becker (1983) retient d’abord l’hypothèse que les votants ou les électeurs n’apparaissent pas directement dans le processus politique, même démocratique. Ils ne sont donc pas les déterminants essentiels de l’influence politique. Ils agissent surtout comme membres de groupes de pression ou comme objets passifs de la propagande des groupes auxquels ils se rallient. Ils ne font donc que transmettre les pressions des groupes actifs. Certains groupes sont plus habiles à « acheter » les votes même de citoyens qui n’appartiennent pas à leur groupe, tout comme certains votants sont plus faciles à persuader.
L’entrepreneurship en communication, manifeste dans les organismes environnementaux, confère à d’autres organisations une grande influence en dépit de leur taille modeste. On conçoit aussi que certains objectifs politiques soient plus faciles à promouvoir ou plus populaires que d’autres; on peut citer le nationalisme, la conservation et l’environnement, la santé, l’éducation, etc.
« Les gens peuvent être amenés
à associer une politique à des finalités nobles
et socialement désirables, plutôt qu’aux intérêts
des groupes particuliers. »
Les gens peuvent être amenés à associer une politique à des finalités nobles et socialement désirables, plutôt qu’aux intérêts des groupes particuliers qui en font la promotion; c’est le cas entre autres du salaire minimum, ou de l’autarcie en matière d’énergie et en général de ce que nous avons appelé la pensée groupiste. Parce qu’ils peuvent en quelque sorte acheter l’appui des votants, les groupes ne coopèrent pas, ne négocient pas entre eux, ni directement, ni par l’intermédiaire des politiciens qui agiraient comme managers de l’entreprise politique. Leur influence s’exerce directement sur les choix politiques. Les échanges de politiques sont exclus dans le schéma Becker.
C’est la concurrence des groupes de pression dans la recherche de faveurs publiques qui détermine ultimement la structure finale des taxes, des transferts ou des autres faveurs. L’équilibre ultime découle de leurs seules pressions directes sur les décideurs politiques. La distribution de l’influence politique n’est cependant pas fixe ni uniforme à travers tous les groupes; elle varie selon le temps et l’argent engagés par les groupes en contributions aux caisses électorales, en publicité politique, etc. Chacun des groupes maximise son revenu en affectant les efforts optimaux à l’exercice de pressions politiques. Pour chaque groupe de pression, les transferts obtenus en subventions de toute nature sont, à la marge, égaux aux coûts engagés par eux. Les groupes les plus habiles à exercer des pressions politiques jouiront dans ce contexte de fardeaux fiscaux réduits ou de transferts accrus.
L’un des coûts déterminants de l’action politique des groupes a déjà été souligné : il s’agit du contrôle des « passagers clandestins » (free riders). Seuls les groupes suffisamment habiles à limiter l’instinct des passagers clandestins deviennent politiquement puissants. Le faible nombre de leurs membres, leur homogénéité, ou le recours à des règles de décision autres que majoritaires, sont quelques unes des circonstances qui favorisent la formation de groupes influents. Les groupes les plus en mesure de surmonter cette « logique de l’action collective » exercent plus de pression politique et obtiennent ainsi plus de transferts ou jouissent de fardeaux fiscaux allégés. Par exemple, plus la taille du groupe est grande, plus cet obstacle à l’action politique se fait sentir et vice versa. Il est plus facile pour un groupe d’obtenir des transferts lorsque le nombre de membres qui le composent est faible relativement au nombre de contribuables ou de consommateurs. C’est ainsi que Becker explique entre autres la domination historique des agriculteurs sur le marché politique dans les pays riches et la domination des citadins dans les pays pauvres, où l’agriculture (en Afrique et même en Chine) subit un lourd fardeau fiscal.