Autre aboutissement de la monopolisation publique de la production: la part de l’emploi public dans l’ensemble de la main-d’œuvre constitue un déterminant important de l’ampleur de la syndicalisation. Ainsi au Canada comme aux États-Unis le taux de syndicalisation s’avère nettement plus élevé dans le secteur public que privé. En 2003, 75,6% des employés du secteur public canadien étaient syndiqués, contre 19,9% du secteur privé. De même, 41,5% des employés des gouvernements américains appartenaient à un syndicat, contre 9% des employés des firmes privées. On peut donc se convaincre que l’importance relative de l’emploi public, à 18% au Canada plutôt qu’à 14,4% aux États-Unis, explique en bonne partie le plus fort taux de syndicalisation au Canada.
Si on appliquait le même raisonnement à la situation du Québec, où 40% de la main-d’œuvre est syndiquée, on comprendrait pourquoi le taux de syndicalisation dans ce territoire l’emporte sur les autres provinces. On comprendrait qu’il vaille la peine pour la Centrale des enseignants du Québec (CEQ) de diffuser largement auprès de ses membres et dans la population en général les avantages qu’ils ont à retirer de la formation d’un monopole public de l’éducation, tandis que les parents et les contribuables ont moins à gagner à prendre conscience du fardeau fiscal supplémentaire et de la baisse de qualité qui s’ensuivront. Au prix de quelques centaines de dollars par année imposés à la masse des parents contribuables, chacun des enseignants encaissera des milliers de dollars supplémentaires en salaires accrus et en conditions de travail avantageuses. L’ardeur des associations d’éducateurs du réseau public à lutter pour la suppression de la concurrence et contre la liberté de choisir l’école est solidement documentée. La bureaucratie scolaire locale et centrale s’associera allègrement à ce combat. Il ne fait pas de doute que les monopoles syndicaux opposeront une résistance farouche à toute tentative de restaurer la concurrence dans l’industrie de la santé. Ils préfèrent négocier avec un monopole d’État, à l’abri du risque de faillite et de la concurrence, qu’avec un employeur soumis aux risques du marché et déterminé à résister aux demandes excessives du syndicat.
Surutilisation du travail au détriment du capital
L’un des effets généraux associés au monopole public et à son pendant le monopole syndical est qu’il concentre relativement plus de ressources productives dans le travail que dans le capital. (Megginson, et Netter, 2001). Puisque les frais de personnel et les effectifs sont incompressibles dans un régime de « droit » au travail, c’est dans les budgets d’équipement que s’opèrent les rationnements les plus marqués, comme en témoigne la position peu enviable du Canada ou de la France en matière d’accès aux technologies médicales avancées et de longueur des files d’attente.
On prétend parfois que le monopole d’État sert au moins à contrôler les coûts via l’imposition de contraintes à la capacité. La composante travail ou budget salarial reste, elle, constamment excessive. L’hôpital canadien moyen affecte environ 75% de son budget global au salaire, l’hôpital français 70%, tandis que l’hôpital américain affecte moins de 55% à ce poste (McArthur, 2000). En même temps les syndiqués non spécialisés dans les services de santé (entretien, électriciens, plombiers, etc.) touchent des salaires supra concurrentiels, supérieurs à leur contrepartie dans le marché. En comparant les salaires des syndiqués d’hôtellerie à ceux des syndiqués d’hôpital, on découvre que les ouvriers d’entretien gagnent 40% plus cher à l’hôpital, les peintres, 63,3% et les cuisiniers, 28,9%. C’est dans des dimensions spécifiques que les dépenses de santé ont le plus augmenté, soit les dimensions les plus favorables à la promotion des intérêts syndiqués, au détriment par exemple des dépenses d’investissement, d’équipement de haute technologie et de médicaments nouveaux (McMahon, et Zelder, 2002). Pourtant c’est de ce côté que les bienfaits semblent le plus visibles sur les patients.
Le biais n’est pas exclusif à la santé. On se souviendra des déclarations du Secrétaire général de l’OTAN qui n’hésitait pas à affirmer que l’Europe sous investit en équipement et technologie militaire au profit du personnel et des fonctionnaires bénéficiaires de programmes d’emploi et qui n’ont souvent de militaires que le nom. La conséquence en est que l’Europe dépense les deux tiers du budget que le gouvernement américain affecte à la défense, mais n’atteint que 10% de sa capacité de combat.