Le paradoxe est donc que, malgré l’évolution déprimante de la croissance globale du Québec depuis les années 60, le revenu par habitant s’inscrit chez nous au même niveau que dans le reste du Canada. Pourquoi ce contraste entre la faible croissance globale de l’économie québécoise et la hausse du niveau de vie égale à celle de l’ensemble du Canada? Pour une raison simple : lorsque le revenu par habitant baisse dans une province, les gens quittent cette région et les immigrants y affluent en moins grand nombre.
L’offre de main-d’œuvre décline jusqu’à ce que le salaire moyen y gagne au même rythme que dans les régions plus prospères du pays. Ce processus de migration se poursuit donc jusqu’à ce que le revenu réel par habitant converge dans toutes les régions. Ainsi, bien que le produit intérieur brut nominal par habitant au Québec soit inférieur d’environ 15 % à celui de l’Ontario, le coût de la vie s’inscrit en 2006 à Montréal à 14,6 % en-dessous de celui de Toronto. Les Montréalais gagnent moins en dollars nominaux, mais ça leur coûte moins cher de se loger et dans les mêmes proportions. La divergence des taux de croissance globale entre les deux villes a donc été entièrement capitalisée dans le prix du sol et des ressources fixes. Les ajustements inter régionaux se sont faits par la mobilité de la population, non pas par l’élargissement du revenu réel moyen entre les régions canadiennes. C’est donc en dépit de la révolution tranquille que le niveau de vie des Québécois s’est aligné sur celui du Canada, non pas en conséquence de ce mouvement, comme l’enseigne incorrectement l’interprétation conventionnelle.
Cette conclusion s’avère valide dans toutes les économies nationales. La convergence du revenu réel par tête dans les pays intégrés est documentée aussi aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France et au Canada. De 1920 à 2000, les variations du revenu par tête à travers les États-Unis ont fortement diminué sous l’effet de mouvements variables de la population. La part de la population de l’ouest a presque triplé, pendant que des déclins prononcés se produisaient dans le Northeast et le Midwest. Les économistes ont démontré en contrepartie que la distribution du revenu par tête s’est rétrécie dans ce pays au cours du vingtième siècle. En fait, à la fin du XXe siècle, la dispersion du revenu réel par travailleurs s’avérait extrêmement réduite. Pour une moyenne nationale de 100, les variations interrégionales s’étalaient de seulement 96 à 105 en 1980.
Les variations interrégionales de revenu en Angleterre s’avèrent aussi étroitement distribuées, une fois incorporées les variations interrégionales du coût de la vie.
En général, les régions rurales affichent un revenu moyen inférieur à celui de Londres dans les statistiques officielles. Mais l’égalisation se réalise à travers les deux types de territoires pour des occupations semblables. Les analystes de l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) résument comme suit les résultats de leurs travaux sur le revenu régional en France: “Les différences de niveaux des prix entre Paris et le reste du pays sont du même ordre de grandeur que les différences de niveaux des rémunérations”.
Cette dispersion rétrécie a accompagné d’importants mouvements de la population canadienne : baisses marquées dans les provinces atlantiques et le Québec, en même temps qu’accroissements prononcés de la part de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie Britannique. Tel que souligné précédemment, la part québécoise de la population est restée constante à 29% de 1941 à 1966, mais affiche par la suite une tendance négative constante, pour atteindre 23,1% en 2011. Au total, les données confirment que l’intégration économique liée au commerce, à la migration et aux ajustements du marché du travail, mène à l’égalisation du revenu personnel réel, non pas à des différences de prix ou de revenus.
Ce qui signifie en passant que la péréquation n’a aucun fondement. Il faut savoir que la péréquation est un régime institué par le gouvernement fédéral dans l’après-guerre, par lequel le gouvernement d’Ottawa verse aux provinces dont le revenu par habitant est inférieur à la moyenne canadienne, des allocations qui leur permettraient d’offrir les mêmes services publics que les provinces prospères. Le Québec touchera près de 9.3 milliards en 2015-16 en vertu de ce programme. Mais puisque le revenu réel par tête dans les occupations semblables converge dans toutes les régions canadiennes, ces versements n’ont aucun fondement.