Deux économistes de l’Université Laval ont étendu systématiquement ce schéma d’analyse à la tarification de l’électricité par Hydro-Québec. Le point de départ de leur analyse est que ce monopole public accorde à ses abonnés industriels et résidentiels des tarifs sensiblement inférieurs au coût marginal de production et surtout fortement inférieurs aux tarifs que l’entreprise pourrait réaliser sur le marché du nord-est américain.
En 2005, l’électricité exportée aux États-Unis rapportait 9,6 cents à l’entreprise. Dans une conférence récente, Marcel Boyer de l’Université de Montréal calcule que le coût marginal s’établit à 8,8 cents le kilowattheure, mais que le gouvernement l’autorise à fixer des tarifs variant de 2,56 cents à 7,86 cents. Toute production marginale inflige donc des pertes au monopole de l’électricité, sauf la portion exportée. C’est le conditionnement qui explique que, dans une pratique « contre nature » pour une entreprise, Hydro-Québec investisse tant d‘efforts publicitaires pour nous convaincre de comprimer notre consommation. Cette tarification préférentielle représentait en 1995 un manque à gagner de 553 millions de dollars pour la société d’État et ultimement pour le gouvernement provincial. Ce qui explique en partie qu’Hydro-Québec ait réalisé de 1989 à 1995 des taux de rendement dérisoires variant de 3,3% à 8,4% sur ses investissements, à peine égaux au rendement des Bons du Trésor. Ce gaspillage honteux suscite immédiatement la question : Pourquoi les électeurs québécois élisent-ils des gouvernements qui laissent se perpétuer des pertes d’efficacité si manifestes et si grossières? Excluons sans réserve la rationalisation officielle qui prétend qu’on crée des emplois à subventionner ainsi des entreprises énergétivores. L’abaissement des taxes qui résulterait d’une tarification optimale ferait infiniment plus pour améliorer le marché de l’emploi et le revenu des Québécois.
La logique politique proposée par le théorème de la tendance centrale (souci de gagner l’appui d’une majorité) offre la réponse. Le manque à gagner ainsi sacrifié par le gouvernement doit être comblé par un alourdissement correspondant de la fiscalité générale.[1] Or celle-ci est proportionnelle, et même progressive, c.-à-d. que le taux de prélèvement augmente à mesure que le revenu du contribuable s’élève. Il en va différemment du budget d’électricité des familles, qui, lui, décroît en termes relatifs à mesure que le revenu familial augmente. Ainsi l’abonné qui fait un revenu de 13 000$ affecte 5,54% de son budget à la consommation d’électricité, plutôt que 1,85% dans le cas de l’abonné touchant 55 000$ par année. On démontre ainsi qu’en substituant une taxe proportionnelle ou progressive à un prélèvement uniforme sur la consommation, la majorité des abonnés et donc des votants y gagnent, au détriment des revenus moyens supérieurs. Une majorité d’électeurs préféreront un bas tarif d’électricité combiné à un haut taux de taxation, plutôt que l’inverse. En dépit de son inefficacité manifeste qui diminue la richesse des Québécois de 300 à 500 millions de dollars par année, cette pratique sera retenue par le politicien qui sait gagner des élections. Le souci d’opérer des transferts de richesse à la majorité explique aussi le choix retenu par Hydro-Québec d’imposer une faible redevance d’abonnement, combinée à un tarif inférieur au coût marginal.
[1]Reconnaissons au passage que même si les tarifs d’électricité étaient haussés à leur niveau optimal, la fiscalité générale n’en serait pas allégée d’autant. Cette dimension sera examinée ultérieurement avec la fiscalité générale.
Jean-Marc Pelletier a écrit
Une approche a toujours caractérisé la fixation des tarifs d’électricité au Québec, soit des tarifs déterminés par le « politique » selon des données peu détaillées soumises à l’attention publique. Ainsi, avant la création de la Régie de l’énergie, ceux-ci étaient déterminés par le gouvernement suite à une commission parlementaire alors que les données étaient peu disponibles à l’établissement de justes tarifs. Puis, avec la création de la régie, on aurait pu espérer que les tarifs soient enfin fixés « au mérite » mais la scisson d’Hydro-Québec en 3 entités (dont la filiale Production largement « bénéficiaire » n’était pas soumise à l’examen publique mais dont les filiales « déficitaires » Transport et Distribution y étaient soumises) est venu à nouveau « opacifier » la juste fixaton des tarifs d’électricité.
Cela étant, le commentaire fait état du coût marginal de profuction vs les tarifs consentis aux industriels et démontre donc un interfinancement des clients résidentiels et commerciaux à l’égard des consommateurs industriels. Cependant, les données mises en évidence s’appliquent aux années 2005 et, depuis ce temps, avec l’abondance du gaz de schiste qui a amené l’établissement de centrales électriques avec des tarifs très bas, la situation n’est plus la même depuis 2006-2007, A preuve les exportations d’Hyro-Québec aux Etats-Unis dont le revenu moyen récent s’établit autour de 3 cents/kWh, conséquence de la baisse des tarifs sur le marché américain.
Par ailleurs et sans trop allonger mon commentaire, dans une situation où nos industriels doivent produire des « marchandises » alors que leurs compétiteurs américains voient leurs coûts de production diminuer, comment ne pas leur consentir des tarifs préférentiels ne serait-ce que pour maintenir leur compétitivité et maintenit les emplois qu’ils supportent? Par ailleurs, comparer le taux de rendement sur le capital pour une entreprise – Hydro-Québec – dont nous sommes « propriétaires » avec les taux de rendement normalement exigés des sociétés publiques – côtées à la bourse – mérite qu’on questionne cet aspect de l’analyse financière.
Cela étant, alors que l’arbitraire dans la fixation des tarifs était la norme depuis la nationalisation de l’électricité jusqu’à la venue de la Régie de l’énergie, l’arbitraire s’est à nouveau installé depuis la scission d’Hydro-Québec en 3 entités et l’exclusion de la filiale Production des critères économiques appliqués aux autres filiales, soit le taux de rendement sur l’équité, le taux de capitalisation,…
J’estime donc que, à ce moment de notre « vécu » électrique, il serait opportun qu’un vaste débat soit lancé sur la juste tarification de l’électricité au Québec, un débat qui tiendrait compte des faibles coûts de production dans les marchés limitrophes – américains – qui induisent des pressions sur nos industriels et qui tiendrait compte également de la « rente hydraulique » mise en place suite à la nationalisation de l’électricité, au bénéfice des clients résidentiels notamment. Totu un débat qui devrait se faire hors de la portée de nos « politiques » qui s’y connaissent bien peu en la matière…
Jean-Marc Pelletier a écrit
J’aimerais ajouter à mon commentaire précédent des éléments historiques qui mettent en contexte la fixation des tarifs d’électricité au Québec.
Ainsi, en 1962, au moment de la nationalisation, les tarifs – résidentiels, industriels – étaient différents sur l’ensemble du territoire, les tarifs en Gaspésie étant six fois plus élevés que ceux de la région de Montréal. Hydro-Québec en arrivera à la parité tarifaire vers 1973 en ajustant les tarifs de façon incrémentielle dans chacune des régions. Et il ne faut pas oublier que la stratégie du « chauffage tout électrique » voyait la production d’électricité croître de 7% par année, avec les énormes besoins de financement requis pour construire de nouveaux barrages et lignes de transport. Mais, au niveau de la fixation des tarifs, un principe à l’origine de la nationalisation prévalait, soit de « fournir l’électricité au plus bas coût compatible avec une saine gestion financière ».
C’est ainsi que, de 1962 à 1997, les tarifs étaient modulés de façon à ce qu’Hydro-Québec dégage un bénéfice annuel progressif pour atteindre 700 M$ atteint en 1997, tout en maintenant un taux de capitalisation adéquat et un taux de couverture des intérêts reflétant un sain équilibre financier. A l’évidence, les tarifs étaient fixés par le « politique » mais on s’assurait de toujours maintenir un bénéfice suffisant pour assurer une saine capitalisation et assumer les charges financières associées à nos emprunts.
Cela étant, en 1997 et, par la suite en 2000 avec la scission d’Hydro-Québec en trois filiales autonomes – dont deux filiales étaient soumises aux critères de rendement établis par la régie -, la filiale Production entendait augmenter ses profits – non réglementés – via des exportations massives sur le marché américain. Et, quant aux filiales Transport et Distribution – « déficitaires » avant la scission -, leurs tarifs ont été augmentés à la demande de la régie, contribuant à l’explosion des bénéfices d’Hydro-Québec durant la période 2000-2006 par les bénéfices résultant des exportations et par les bénéfices résultant des augmentations de tarifs consenties aux filiales réglementées Transport et Distribution.
Or, à partir de 2008, avec la mise en service de centrales américaines alimentées au gaz naturel de schiste, les tarifs d’électricité dans ce marché ont considérablement diminués et, de ce fait, les bénéfices résultant des exportations d’électricité par la filiale Production ont également diminué, se situant aujourd’hui à environ 3 cents/kWh selon les données disponibles auprès de l’Office national de l’énergie.
Alors, comment expliquer que les bénéfices consolidés d’Hydro-Québec soient toujours > 2 G$ malgré la diminution des revenus provenant des exportations? Bien simplement parce que les tarifs imposés par la régie aux filiales Transport et Distribution – réglementées avec des taux de rendement inscrits dans la loi – sont venus se substituer aux revenus moindres résultant des exportations. Mais que l’ensemble contribue toutefois à des bénéfices consolidés largement supérieurs aux bénéfices annuels de la période 1962-1997.
C’est ainsi que, depuis l’an 2000, les tarifs d’électricité sont dictés par la régie alors que les revenus de la filiale Production, générant des appports considérables, ne sont pas pris en compte dans l’établissement du tarif consenti aux clients résidentiels et industriels du Québec. Nous sommes donc passés d’une situation où « l’arbitraire politique » dictait les tarifs d’électricité à une situation où les tarifs échappent à tout encadrement visant à maintenir concurrentielles nos industries et à consentir à la clientèle résidentielle des tarifs « les plus bas compatibles avec une saine gestion financière… »
Hydro-Québec est donc devenue une « machine à taxation » concourant à l’atteinte de l’objectif du déficit zéro par les généreux dividendes versés annuellement à son actionnaire, le gouvernement du Québec. Il serait alors surprenant que le gouvernement rétablisse un mode de fixation des tarifs qui s’appuie sur des critères financiers en lien avec un sain développement de l’économie du Québec.