De nombreux auteurs jugent non concluante la relation empirique observée entre le revenu médian et le gonflement de l’État. Peltzman (1980) est l’un d’entre eux. Il retient, bien sûr, que la finalité essentielle de la politique reste essentiellement redistributionniste. Il aboutit à la conclusion que l’État croît démesurément là où les groupes qui partagent un intérêt commun dans cette croissance deviennent plus nombreux. Les intérêts homogènes qui y gagnent à l’expansion de l’État deviennent dès lors une source plus puissante de croissance du gouvernement. Or les temps modernes, qui dans ce schéma remontent surtout aux quelque 50 dernières années, sont marqués par ce qu’il est convenu d’appeler la montée de la classe moyenne. Les Européens préfèrent désigner ce phénomène comme la montée de la « bourgeoisie », qui comporte cependant une connotation plutôt péjorative.
Quoi qu’il en soit, la signification analytique de cette évolution s’exprimerait comme suit. L’homogénéisation caractéristique de la phase récente d’industrialisation correspond au nivellement des revenus à travers, non pas nécessairement toute la population, mais une part accrue de la population, soit la classe moyenne montante. Dans ce contexte, les écarts de revenus se nivellent au centre de la distribution. C’est surtout dans le rétrécissement de l’écart entre les travailleurs qualifiés et les non qualifiés (skilled-unskilled differential) que Peltzman dépiste le nivellement des revenus. L’auteur attribue et associe ce nivellement à la fin de l’exode massif des ruraux non qualifiés vers les villes. Ce sont les groupes qui composent la classe moyenne qui partagent donc des intérêts communs. Ce bassin électoral homogénéisé et élargi appuiera l’expansion de programmes spécifiques, telles l’éducation, la santé, la sécurité de la vieillesse, qui refilent aux revenus supérieurs une part du fardeau de ses aspirations qu’il partage avec le grand nombre. C’est dans ce bassin que le politicien puisera les appuis majoritaires qui lui valent le pouvoir. « L’embourgeoisement » typique du monde occidental vient donc élargir le bassin politique favorable à l’expansion du secteur public. Les conditions sont désormais réunies pour la surexpansion du secteur public par le redistributionnisme systématique. Le paradoxe est que la plus grande égalité au centre suscite une demande politique d’égalisation toujours plus prononcée. Maintenant que la majorité des femmes appartiennent au marché du travail dans la plupart des économies avancées, la priorité contemporaine accordée aux garderies publiques s’interprète directement par cette évolution.
Cette homogénéisation de la majorité n’implique nullement que tous les membres de ce regroupement profiteront également de chaque transfert de richesse que se vote la classe moyenne. Les couples sans enfants sortent manifestement perdants de l’implantation de l’enseignement public. Les subventions aux parents d’étudiants universitaires sont en partie assumées par les pensionnés plus âgés de l’État, qui appartiennent à la même classe sociale, et vice versa. Mais le bloc immensément large de mesures que forme la majorité lui vaudra au total des gains nets qu’il arrache aux revenus moyens supérieurs, mais des gains entremêlés de toutes sortes de brimades. Dans un monde d’interventionnisme généralisé, chacun se retrouve tôt ou tard victime d’exactions par ses semblables. Au total cependant, les intérêts sont suffisamment rapprochés pour entraîner l’adhésion majoritaire.