On doit donc lier notre performance désastreuse en matière d’emploi à la concentration de pouvoir dans les monopoles syndicaux découlant des lois sur les relations de travail. Au-delà de l’importance plus grande du secteur public dont nous avons fait état ci-dessus, c’est donc le biais systématique des lois québécoises du travail qui explique le taux de syndicalisation supérieur qu’on observe au Québec. Parmi les dispositions législatives qui ont contribué à consolider le monopole des syndicats, rappelons que le Québec est affublé du plus haut de syndicalisation en Amérique du Nord, 40% de la main-d’œuvre, (24,7 % en Alberta et 28,3 % en Ontario, 32,4% pour l’ensemble du Canada). En cette matière, le Québec occupe le dernier rang au Canada et le dernier en Amérique, 60e sur 60. Or les 5 territoires des États-Unis et du Canada marqués du plus haut taux de syndicalisation souffrent de niveaux de chômage de 78,5% supérieurs (taux de chômage de 8,5%) au taux caractéristique des 5 juridictions (taux de chômage de 4,7%) qui comptent les plus faibles taux de syndicalisation. Il en va de même de la sévérité et de la durée du chômage. Dans les 5 juridictions les plus syndiquées, 23 % des chômeurs souffraient de cette condition depuis plus de 27 semaines. C’était le cas de moins de 11,5% des chômeurs dans les juridictions les moins syndiquées, donc la moitié moins.
La loi québécoise rend aussi obligatoire, sinon l’appartenance au syndicat de l’entreprise, du moins le paiement de la cotisation syndicale (formule Rand). Nonobstant les énoncés pieux des lois et les serments des milieux intellectuels, la liberté d’association en milieu de travail, c.-à-d. le syndicalisme libre n’existe pas chez nous. C’est la monopolisation coercitive de la main-d’œuvre qu’on appelle syndicalisme; la contrainte est générale au Canada, mais de nombreux États américains reconnaissent légalement le droit au travail libre (Right-to-Work Legislation). Le Canada est le seul pays, avec l’Australie, à imposer sans restrictions la cotisation syndicale ou le membership syndical. Une fois qu’un syndicat est accrédité dans une entreprise ou une industrie entière, tous les employés sont régis par le syndicat, soumis à la cotisation et aux conditions spécifiées dans la convention, même les employés qui n’adhèrent pas au syndicat et qui voudraient offrir leurs services à des conditions différentes. L’employé jouit du droit de s’associer, mais pas du droit de ne pas s’associer.
La loi québécoise rend l’accréditation d’un syndicat plus facile que dans la plupart des provinces : mise en branle du processus dès que 35% (50% dans d’autres provinces) des employés ont acquis une carte de membre, pas de vote secret nécessaire, et accréditation automatique dès que 50% des employés détiennent une carte de membre. L’accréditation est aussi plus facile que la désaccréditation, en ce qu’alors le vote secret devient nécessaire.
Contrairement à la moitié des provinces, le recrutement d’employés au cours d’une grève est interdit et la réembauche garantie à la fin du conflit (loi anti scabs). La seule insertion dans les règles de convention collective d’une disposition anti-briseurs de grève multiplie de 13% le nombre de grèves (Cramton et Tracy, 1995). Dans les années 90, les employés canadiens sont allés 6 fois plus en grève que leurs contreparties américaines. Les grèves durent plus longtemps aussi et coûtent 2 millions de dollars de plus par grève. Le piquetage secondaire en cas de grève (chez un fournisseur ou un client commercial) est permis, bien que sujet à la discrétion d’une cour de justice; il est interdit en Alberta et en C.-B.;
L’employeur québécois doit donner au syndicat un avis d’implantation de changements technologiques, au grand détriment de l’innovation et de l’investissement ; c’est le cas de quatre autres provinces seulement. Contrairement à quatre autres provinces, en cas de litige dans l’application de la convention collective, l’arbitrage est immédiatement obligatoire et exécutoire, sans possibilité d’autres recours;
En matière d’emplois syndiqués dans le secteur public, à 18,5 % de l’emploi total (14,3% en Alberta, 13,9 % en Ontario), c’est à la 53e place que se classe le Québec. Par l’effet de monopolisations publiques d’industries entières, plus marquées au Québec, comme l’éducation, les services municipaux et la santé, la centralisation des négociations dans le secteur public confère un pouvoir illimité aux monopoles syndicaux.
Le Québec paie le plus haut salaire minimum (relativement au PIB par tête) au Canada et en Amérique du Nord. C’est le chômage des moins qualifiés qui écope. D’autres contraintes légales sont exclusives au Québec, comme l’extension des décrets dans des dizaines d’industries, qui, à l’exemple des pratiques françaises, élargissent le pouvoir du syndicat à l’ensemble de la province en uniformisant les conditions de travail.
Germain Bouffard a écrit
À propos du salaire minimum … une citation d’un vieux texte (1969) qui est encore d’actualité:
« When a law exists that no one is to be paid less than $64 for a 40-hour week, then no one whose services are not worth $64 a week to an employer will employed at all. We cannot make a man worth a given amount by making it illegal for anyone to offer him less. We merely deprive him of the right to earn the amount that his abilities and opportunities would permit him to earn, while we deprive the community of the moderate services he is capable of rendering. In brief, for a low wage we substitute unemployment. »
Henry HAZLITT, Man vs the Welfare State, 1969