La formation de ce bloc central homogénéisé qu’est la classe moyenne s’accompagne d’un deuxième conditionnement déterminant. « L’embourgeoisement » du monde industriel est associé à la hausse du revenu de cette classe moyenne et en particulier à la hausse du niveau d’éducation. Ce conditionnement supplémentaire confère à ces groupes homogènes l’aptitude accrue à percevoir leurs intérêts, à les articuler et à les traduire en expression politique. L’exploitation de ces nouveaux talents sert en quelque sorte de catalyseur à l’activisme politique de la nouvelle classe moyenne, à sa prise de conscience des intérêts économiques qu’elle peut tirer de la redistribution par l’État.
Peltzman aligne un solide dossier empirique à l’appui de cette thèse. Il y voit l’explication du rétrécissement de l’État en Grande-Bretagne au XIXe siècle, avant l’apparition de la classe moyenne, et de sa croissance ultérieure aux XXe. Il y associe la montée plus prononcée de l’État en Suède où l’homogénéité s’avère encore plus intégrale. Il explique par son schéma la taille plus grande de l’État et sa croissance plus élevée dans les pays développés que dans les sous-développés. Le rôle de catalyseur de l’action politique d’une population scolarisée se serait exprimé particulièrement fort au Japon, une fois devenu démocratique et aux États-Unis où la scolarisation s’inscrivait au-dessus de la moyenne. Le processus serait particulièrement marqué, selon l’auteur, dans ces pays sous-développés qui, exceptionnellement, jouissaient d’un degré avancé de démocratisation et d’éducation. Au total, le schéma expliquerait la multiplicité des conditions qui distinguent d’une part l’État providence d’aujourd’hui dans les différents pays européens, et, d’autre part, les sociétés agricoles traditionnelles.
La signification la plus générale qu’on dégage de l’analyse du processus politique est que, dans la plupart des interventions redistributionnistes, les bénéfices obtenus par les gagnants sont plus concentrés que les pertes encourues par les perdants. Lorsque la majorité sort gagnante de programmes financés par la fiscalité générale, elle n’en reste pas moins une simple majorité ; le fardeau fiscal affecte cent pour cent de la population, tandis que le bénéfice se concentre dans la moitié de la population. C’est ce qui confère son attrait politique à cette pratique. Si c’était l’altruisme ou la solidarité qui inspiraient l’appel à l’appesantissement fiscal pour la santé par exemple, rien n’interdirait aux âmes généreuses la multiplication des contributions volontaires aux cliniques et aux hôpitaux. Or cette source de financement ne compte pour presque rien dans le budget de ces organismes. En un mot, l’affection apparente du grand nombre pour le medicare, pour l’éducation publique, pour les régimes de retraite publics et l’assistance sociale, pour l’État providence, repose, non pas sur le noble idéal de la compassion, mais sur le souci calculateur d’un grand nombre d’accéder aux allocations illimitées aux frais des autres.
À lire aussi
Publié dans Le Soleil, le 23 avril 2015 à 05h30 –
Le recul du Québec depuis la Révolution tranquille – Le Soleil
Une large fraction de l’élite québécoise s’associe aux syndicats pour déplorer les coupes somme toute timides du gouvernement Couillard. Or, que nous enseignent les faits historiques sur le sens de cette initiative? Lire plus