Le fétiche de l’État capitaliste, de l’État levier, de l’État entrepreneur inspire encore l’intelligentsia et les gouvernements chez nous et en Europe. Les gouvernements nourrissent la prétention de pouvoir identifier mieux que le marché les industries «gagnantes» de l’avenir.
Dans les années 50, l’industrie du transport menait la course du développement. Dans les années 90, c’était au tour de la haute technologie de jouer le rôle. Aucun devin ne l’avait prévu? Encore plus prétentieux, les politiciens et bureaucrates s’assignent la tâche de distinguer d’avance, à l’intérieur des industries, les entreprises gagnantes des autres, pour mieux les nourrir. Ce fut le cas par exemple de Algoma Steel, de Bombardier, de Tricofil et de Michelin. L’organisation centralisée de l’économie est en théorie une utopie. Et les tentatives pour l’imposer en ont fait partout une utopie coûteuse. La raison en est que l’État est un mauvais capitaliste, un mauvais entrepreneur. L’État, par sa logique, est incapable de s’engager dans le processus de « destruction créatrice » essentiel à la croissance et à l’innovation.
Ce qui distingue le capitaliste tout court de l’État capitaliste, ce n’est pas d’abord que le premier soit plus habile à prédire les initiatives gagnantes. Il se trompe aussi copieusement. Ce qui le distingue de l’État entrepreneur, c’est qu’il nourrit le succès et rationne l’échec. Il ajoute de son capital dans les projets prometteurs et fructueux pour les faire grandir et prospérer, tandis qu’il ferme les entreprises malheureuses. Ainsi on calcule que l’investissement moyen dans les firmes qui réussissent est de cinq fois supérieur aux investissements dans les firmes qui tournent mal.
L’appareil politico-bureaucratique au contraire confond création d’emplois et création de richesses. Parce que sa finalité est essentiellement redistributionniste, le gouvernement est incapable de fermer une entreprise, même chancelante et perdante. Les échecs ne sont jamais consacrés. Conséquences prévisibles et observées: rentabilité moyenne minuscule des investissements publics et échecs occasionnels retentissants. L’entrepreneurship politique n’est pas moins grand que l’entrepreneurship marchand, mais il s’exerce au service de la redistribution arbitraire de la richesse plutôt que de sa production.
Cette prodigalité des pouvoirs publics avec l’argent des autres ne crée pas d’emplois; elle en détruit. Selon l’OCDE, 60% des emplois prétendument créés par les subventions seraient apparus sans elles parce que l’entreprise aurait opté pour l’expansion de toute façon. Ou alors, le soutien destiné à la firme X se fait au détriment de la firme concurrente Y. Ce serait le cas de 20% des emplois suscités par l’aide. Les politiques industrielles exercent des effets semblables à la péréquation.
L’individu qui obtient un emploi factice dans son village natal en déclin se réjouit de n’avoir pas à chercher un emploi productif dans une ville éloignée. Deuxièmement, c’est souvent le prix des loyers et des salaires qui y gagnent à l’octroi de subventions, plutôt que la croissance générale des économies ainsi protégées. Enfin les taxes qui servent au financement de ces faveurs arbitraires ne peuvent provenir que d’autres contribuables. Les taxes, présentes et anticipées, qui servent à financer les subventions aux entreprises, ne font pas qu’extraire des ressources de l’économie. Elles exercent surtout des effets dépressifs en neutralisant les incitations à travailler, à investir, à épargner, à exporter, à innover, en un mot à produire de la richesse. Elles rompent le lien vital entre l’effort et la rémunération.
Les industries et les économies qui affichent les plus hauts taux de créations d’emplois sont aussi celles qui en détruisent le plus. (Davis, Haltiwanger et Schuh, 1996). Les politiques industrielles et l’ensemble des subventions à l’entreprise camouflent la vérité des prix. Les seules initiatives de l’État susceptibles de promouvoir la croissance consisteraient à alléger le poids réglementaire et fiscal sur l’épargne et l’investissement et à favoriser la concurrence, intérieure et extérieure.