En l’absence d’une dynamique d’adaptation, d’innovation et de croissance économique, il ne reste plus au régime public qu’une alternative pour tenter de répondre à la pression incontournable des besoins, l’injection de fonds supplémentaires ou le blocage de la capacité, le rationnement. Concernant l’injection de ressources supplémentaires par le trésor public, les comparaisons interrégionales confirment aussi le caractère illusoire de cette voie facile. Le Canada se distingue par un budget de santé parmi les plus élevés de tous les pays du monde industrialisé qui offrent l’accès public universel aux soins. De nombreux autres pays obtiennent des résultats comparables tout en affectant moins de leurs ressources à ce secteur. Quand on compare le budget des provinces canadiennes entre elles, on découvre qu’il n’existe aucune relation entre la dépense publique de santé par tête et la longueur des files d’attente dans chacune d’elles. On n’observe aucune relation entre l’évolution des dépenses publiques de santé et le nombre de traitements par tête (Zelder, 2000). A titre d’illustration, rappelons que la Saskatchewan occupe le troisième rang sur dix en dépenses par tête, et pourtant le temps d’attente entre la référence d’un médecin et le traitement s’élevait à 34,5 semaines en l’an 2000 (14,0 semaines en moyenne au Canada). Tout se passe sous le régime public comme si l’apport de ressources fraîches ne faisait que se diluer en salaires supplémentaires, en prix accrus, ou en usages divers sans bénéfices pour les usagers. D’injecter des ressources dans un régime aux incitations perverses ne fait qu’empirer les choses.
De son côté, la Grande-Bretagne optait récemment pour l’injection de fonds publics comme solution presque unique aux déficiences de son régime. Le pari anglais a été mis à l’épreuve. Entre le tiers et les deux cinquièmes des hausses de budgets ont pris la forme de rémunération accrue, plutôt que de personnel plus nombreux et de meilleures installations. Les queues n’ont pas sensiblement raccourci. Les journaux font déjà état de l’absorption des ressources fraîches par les salaires et le raccourcissement des heures de travail. Le système britannique de santé compte presque autant de gestionnaires, d’administrateurs et d’employés de soutien que d’infirmières qualifiées. Par opposition, on dénombre dans un hôpital privé de Londres 43 postes administratifs pour 243 infirmières, ratio de 1 à 6, plutôt que de 1 à 1.
Autre illustration de cette loi d’airain, Medicare USA : Une étude publiée dans Annals of Internal Medicine vient de confirmer que la poussée des dépenses de Medicare n’a pas apporté de solution aux déficiences du régime. La démarche des chercheurs visait à déterminer si les patients qui habitent les régions à fortes dépenses (de la part de Medicare) obtiennent des soins de meilleure qualité. On sait que les variations interrégionales sont prononcées, 8 414$ par habitant à Miami, seulement 3 444$ à Minneapolis. S’agissant des traitements majeurs, tels les pontages, la cathéterisation cardiaque ou le remplacement d’une hanche, on découvre qu’ils sont essentiellement les mêmes indépendamment des régions et du coût. C’est lorsqu’il s’agit de soins plus discrétionnaires, tels les visites supplémentaires chez le médecin, chez le spécialiste en particulier, ou les tests diagnostiques, ou le nombre de jours dans les unités de soins intensifs, que les variations s’avèrent le plus prononcées. Au total, les résultats confirment que les dépenses publiques engendrent la multiplication des soins (jusqu’à 60% de plus), mais pas l’amélioration de la qualité des soins, ni l’accès, ni la satisfaction des patients.
La théorie économique et l’expérience universelle confirment que l’accès illimité à des ressources rares, à un prix voisin de zéro, n’est pas un aménagement durable On a observé cet aboutissement dans les pêcheries, dans les rues et les routes aux heures de pointe, dans la dégradation des nappes d’eau et ailleurs. Aujourd’hui c’est au tour du régime de santé de flancher sous le coup des déficiences inhérentes au système. Le principe qui préside à la prise en charge presque intégrale par l’État des frais de santé même mineurs est sans fondement moral ou économique et irréaliste.