Une large fraction de l’élite québécoise s’associe aux syndicats pour déplorer les coupures somme toute timides du gouvernement Couillard. Or que nous enseignent les faits historiques sur le sens de cette initiative? Une réalité incontestable, soit le recul marqué du Québec par rapport au reste du Canada, largement imputable au gonflement de l’État.
Si on mesure l’écart grandissant entre le Québec et le reste du Canada depuis un demi-siècle en matière de population, de croissance économique globale, d’investissement et d’emploi, le recul relatif du Québec est incontestable. La part du Québec de la population canadienne était restée constante à 29% de 1941 à 1966, mais a connu une tendance déclinante par la suite pour s’établir à 23,1% en 2011. La population métropolitaine de Montréal s’élevait à 94% de celle de Toronto en 1981 pour tomber à 68% en 2011.
L’économie du Québec a vécu un écart grandissant avec l’Ontario et le reste du Canada au cours des dernières décennies. De 1981 à 2004, la croissance globale du PIB réel n’a atteint que 70,4% au Québec, contre 96,3% dans le reste du Canada. La part du PIB québécois dans l’ensemble du Canada a décliné de 2,4 points à près de 21,0% dans la même période. De 1971 à 2004, la population en âge de travailler (de 15 à 64 ans) a gagné 33,9% au Québec, 70,9% ailleurs au Canada. Au cours de la période plus courte de 1981 à 2004, l’emploi a grimpé de 43,9% dans le reste du Canada (de 38,7% aux USA), mais de seulement 32,8% au Québec. Dans la même période, pour une population de 23,6% du Canada en 2004, le Québec n’a créé que 19,7% des nouveaux emplois canadiens. 61.2% de la population du reste du Canada et 61,9% de la population américaine avait un emploi; seulement 56,2% en avait un au Québec.
Près d’un million de Québécois ont quitté le territoire depuis les années 60. L’activité manufacturière et les investissements en général ont délaissé le territoire. La part du Québec dans les investissements en machinerie et en équipement a décliné de 74% en 1972 à 59% en ce début du XXIe siècle. Les compagnies sous contrôle étranger comptent pour moins de 17% des sociétés privées chez nous, contre 28% dans le reste du Canada. A peine plus de 12% des immigrants choisissent le Québec comme destination finale. Le nombre d’employés des sièges sociaux à Montréal, à peu près égal à celui de Toronto en 1960, est tombé à la moitié du niveau torontois aujourd’hui. Le plus étonnant est que c’est surtout l’évolution déplorable qui a marqué la révolution tranquille qu’on célèbre dans les cercles intellectuels et politiques.
L’évolution ne changera guère au cours du prochain demi-siècle. La part des personnes âgées et dépendantes grossira relativement à la population en âge de travailler au Québec. L’État devra réduire ses dépenses ou hausser ses revenus pour abaisser sa dette à des niveaux raisonnables vers 2030. Les conséquences politiques seront terribles : couper dans les services des votants soucieux de maintenir leurs « droits sociaux » ou s’attaquer aux contribuables soucieux de se protéger contre les syndicats du secteur public qui voudront protéger leurs privilèges.
Bien que reflet de la tendance étatiste universelle, le Québec a été plus étatiste et donc plus gaspilleur que la plupart des pays de l’Occident, plus surtout que les autres provinces canadiennes. Nous identifions ainsi la cause déterminante de notre retard : les obstacles à la liberté de commercer découlant de la lourdeur du fisc et des régulations. Les études démontrent universellement que la relation entre le rythme de croissance de l’économie et la taille de l’État est négative. Le Québec est déjà la plus alourdie des 10 provinces et des 50 États américains en matière de fiscalité et de régulations. En 2008, le gouvernement québécois dépensait 28% du PIB provincial, l’Ontario environ 20% et l’ensemble des provinces, 18%. A près de 40% du PIB, le fardeau fiscal québécois se hissait au plus haut niveau, non seulement du Canada, mais de tous les pays de l’OCDE en 2006. Sa dette brute atteignait 88% du PIB, contre 68% pour l’ensemble des juridictions canadiennes. Les modes d’intervention qui affectent les prix relatifs ont explosé chez nous depuis les années 60 : subventions, taxes, nationalisations, entreprises publiques, achats préférentiels, régulations sociales et prohibitions. La part des dépenses publiques dans l’économie québécoise est passée de 4% inférieure à la moyenne canadienne en 1961, à plus de 4% supérieure en 1978. Cette évolution s’est maintenue depuis. La fonction publique du Québec emploie le même nombre de personnes que la Californie. On réalisera que le séparatisme est lui-même le sous-produit de cette foi dans le pouvoir de l’État de réaliser le bien commun. Ce mouvement, apparu dans les années 60, constitue une aspiration promue principalement par les intellectuels de gauche qui associent le progrès et la modernité à la planification d’État.
On peut argumenter qu’au cours des années 60 le Québec s’est libéré d’un certain fondamentalisme religieux asservissant. Il s’est par contre assujetti à une idéologie tout aussi, sinon plus asservissante que la ferveur qui a caractérisé sa foi religieuse traditionnelle. Cet asservissement a nom étatisme. Cette évolution idéologique n’est pas unique au Québec. Le mouvement en faveur de l’étatisation s’est tout simplement avéré plus prononcé qu’ailleurs au pays et en Amérique du Nord en général. En somme, pour son propre malheur, le Québec a importé le modèle européen.
Il n’est pas facile d’interpréter cette évolution. Il faut prendre pour acquis que la liberté s’est avérée l’exception dans l’histoire de l’humanité. Avant la révolution industrielle, l’homme moyen gagnait de un à trois dollars par jour. Mais à partir de cette époque et pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le revenu par tête dans quelques pays européens et particulièrement aux États-Unis, a commencé à croître rapidement. Le marché libre, autrement appelé le capitalisme, s’est avéré le plus grand engin de prospérité et de diversité dans l’histoire de l’humanité.
En matière de distribution de la richesse, la gauche politique au Québec (et ailleurs dans une moindre mesure) s’en remet à l’État pour susciter la montée populaire dans l’échelle sociale. Nonobstant les bonnes intentions qui l’inspirent, ce que le Québec et l’Europe continentale démontrent, c’est que le gonflement de l’État n’est nulle part la recette pour réaliser cette finalité. Pour leur part, les conservateurs et les libertariens comprennent que, comme l’enseignent l’analyse et l’expérience universelle, les sociétés dotées de plus hauts niveaux de mobilité et de liberté économique jouissent de taux de pauvreté allant jusqu’à 75 pour cent inférieurs aux pays moins libres. L’une et l’autre région affichent des niveaux de budgets publics supérieurs, et l’une et l’autre doivent déplorer des revenus par tête qui augmentent à peine.
L’Institut Économique de Montréal a calculé la croissance à venir de la dette intégrale du secteur public du Québec. Il estime que la dette aura augmenté de 9,3 milliards le 31 mars 2015, ou de 25 millions par jour, ou de 17 670 par minute, ou de 294 $ par seconde. Elle se gonflera encore davantage dans les prochaines années, sous l’influence du vieillissement de la population. Le défi politique majeur du Québec, plus que des autres provinces mais comme la plupart des pays d’Europe, est de régler la question de l’État omnivore. Le choix de moderniser ou pas l’État que nous avons surchargé de responsabilités ne se pose pas; il est incontournable.