Soulignons tout de suite que, bien qu’apte à expliquer nombre de décisions publiques, la règle du votant médian appelle une première réserve. En d’autres termes, la majorité n’est pas la seule composante à déterminer les choix politiques en démocratie. On le concevra plus clairement quand on aura introduit le rôle des groupes d’intérêt dans le processus ainsi que les modalités de l’échange de votes (du logrolling).
Déjà on devine que certains votants sont plus sensibles à certaines décisions qu’à d’autres, ou qu’une loi donnée affecte plus fortement certains individus que d’autres. C’est alors qu’une mécanique d’échanges de votes peut s’instaurer entre les votants. Illustrons par un simple exemple chiffré. Supposé qu’une démocratie composée de neuf votants ait à faire choix public coûtant neuf dollars, répartis uniformément entre les neuf électeurs et donc à raison de un dollar par votant. Supposé également que le projet procure un bénéfice de sept dollars à l’un des votants et rien du tout aux huit autres. A priori, la proposition serait rejetée à la majorité.
Mais on devine immédiatement que le gagnant éventuel serait disposé à « acheter » l’appui de quatre autres votants, en échangeant son vote sur quatre autres projets contre l’appui de quatre votants au projet qu’il valorise intensément. L’échange lui coûterait quatre dollars et lui vaudrait donc un bénéfice net de deux (7-5) dollars. La mesure l’emporterait au scrutin majoritaire, bien que la société ait payé neuf dollars pour une initiative qui n’en vaut que sept en bénéfices sociaux. Les hommes politiques sont conscients de cette logique. Par exemple, les quotas agricoles, les subventions aux entreprises, et les monopoles syndicaux sont des formes d’échanges de faveurs que la politique offre aux producteurs. Ces questions feront l’objet d’élaboration ultérieurement.
Conclusion : certaines mesures nettement impopulaires auprès de la majorité des votants seront retenues par les décideurs politiques si elles s’avèrent très populaires auprès d’une minorité. Cette logique signifie aussi que ce n’est que par hasard que la règle du scrutin majoritaire réalise le bien commun, c.à-d. que les bénéfices d’une mesure l’emportent sur les coûts. Les faveurs publiques aux uns se font invariablement aux dépens des autres.
Laisser un commentaire