À l’instar du gouvernement fédéral, le Québec continue à combler les entreprises de ses subventions. Le Québec consacre à Québec Inc. plus de ressources publiques que toutes les autres provinces réunies. Au cours des années, il a multiplié les entreprises publiques; il perpétue ses politiques d’achat préférentiel en faveur des entreprises québécoises, s’engage dans des participations au capital action de nouvelles entreprises et partage les risques avec d’autres; il invente des déductions fiscales pour favoriser la capitalisation des entreprises et l’éclosion d’activités «stratégiques»; il concède enfin de généreux crédits d’impôt à la recherche et au développement.
Bernard et Bélanger (2007) calculent que le récent épisode de subventions à Alcan pour l’installation d’une nouvelle aluminerie au Saguenay-Lac St-Jean équivaut à 336 000$ par année par employé pendant 30 ans. L’une des récentes innovations dans l’art de dilapider l’argent des autres prend la forme de « créneaux gagnants », qui a elle-même succédée à la «stratégie des grappes».
En 2002, le gouvernement canadien lançait sa «stratégie d’innovation» dont l’objectif était de créer au moins «10 grappes technologiques internationalement reconnues». Il a, semble-t-il, reconnu qu’il lui était impossible d’identifier les entreprises gagnantes; qu’à cela ne tienne, il manquait d’imagination; désormais ce sont les « grappes » qu’il identifiera, à l’image de l’échec retentissant de la «grappe publicitaire» de Montréal ou de celle de l’énergie renouvelable de la Colombie Britannique avec comme joueur principal Ballard Power.
Suret (1994) évalue les six principaux programmes de subvention aux entreprises québécoises jusqu’aux années 1990 et confirme en conclusion qu’ils sont tous «coûteux et inefficaces» (p.162). Que le ratio du profit au coût investi en recherche, à 0,69, s’avère au Québec le plus faible non seulement du Canada, mais du monde entier, n’a pas lieu de susciter le doute chez ses fervents protagonistes.
De toutes les initiatives qui ont englouti les fonds publics depuis une vingtaine d’années, le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec, faveur concédée exclusivement à la FTQ mais couronnée en 1995-96 par la Fondaction de la CSN pour ne pas faire de jaloux, se range parmi les plus désastreuses. Chaque dollar diverti en faveur de cet investissement politique fait perdre 3,24 dollars aux trésors fédéral et provincial.
Pourtant, l’évaluation qu’on en a faite établit que l’opération n’a exercé aucune incidence significative sur l’emploi. (Boucher, 2000) En moyenne, les fonds mutuels concédés aux syndicats ont des coûts élevés, des rendements inférieurs sur le capital et des taux d’amortissement supérieurs (Cumming 2007). L’expérience universelle enseigne que les factions d’employeurs et de syndiqués manipulent à leur profit les tentatives d’implantation de «politiques industrielles».
Si la prétention de pouvoir réaliser la croissance accélérée par la politique industrielle est commune à tous les gouvernements, la dernière vague d’euphorie en faveur de ce fétiche est survenue au Canada, au Québec en particulier, vers le milieu des années 1990. Cette dernière mode coïncidait avec le «miracle japonais», qui, on le sait aujourd’hui, n’était rien d’autre que le rattrapage ou la convergence avec les économies occidentales.
Personne aujourd’hui n’impute la croissance phénoménale du Japon d’avant les années 1990 à la sagacité des planificateurs japonais. On lie plutôt les variations internationales de taux de croissance aux différences de poids fiscal et budgétaire.[1][1] On a donné un nom ronflant à la dernière phase de politiques industrielles, l’ère du technonationalisme. Elle s’inspirait en principe des travaux d’un guru de Harvard, Michael Porter (1990) et s’est traduite au Québec dans la théorie des «grappes industrielles», concept que Porter avait inventé pour désigner les groupes d’industries apparentées.On notera en 2006 que la réalité historique de cette contribution n’appelle nullement l’intervention publique et qu’avec la diffusion des télécommunications, même l’apport de la formule des grappes est menacé. La réalité est que les politiques régionales canadiennes n’ont été que des « efforts d’incitation de l’industrie à s’implanter dans des endroits où elle ne dispose d’aucune base naturelle » (Watson 1994, p. 23).
Les arguments analytiques contre cette forme d’intervention fondée sur de prétendues économies externes chères aux économistes conventionnels, eux, restent les mêmes. Porter lui-même se montrait méfiant à l’égard du «ciblage» des subventions aux entreprises; il inclinait surtout en faveur de l’allègement fiscal pour les entreprises tout en laissant une place contestable à l’assistance à la recherche.
Aujourd’hui comme au temps d’Adam Smith, l’instinct du profit suffit aux entrepreneurs pour leur faire dépister les secteurs d’avenir. Les gouvernements, eux, adoptent des perspectives à court terme et ont le souci, non pas de faire progresser la richesse, mais de la redistribuer, souvent avant qu’elle ne soit produite. Le grand nombre de «champions nationaux» retenus par Québec ont du déposer les livres et ses politiques régionales se sont avérées des fiascos. Dans les faits, les politiques industrielles, fédérales et provinciales, ne sont qu’une forme de protectionnisme sous un nom moins péjoratif.