L’étatisme relève de ce que le lauréat du prix Nobel, Frierich A. Hayek, appelait l‘illusion fatale : la prétention cartésienne d’imaginer qu’une organisation centrale, fût-elle démocratique, soit capable d’obtenir toute l’information nécessaire pour intégrer les milliards de relations nécessaires au bon fonctionnement d’un marché efficace; la prétention de croire qu’on peut, par des directives centrales adressées à des administrateurs, reproduire le dynamisme de l’entreprise novatrice. Les inventeurs, les innovateurs, les entrepreneurs n’ont a priori pas leur place dans un tel schéma. Ce faisant, on a banni de l’industrie de la santé le processus de «destruction créatrice» qui caractérise les économies dynamiques. Le système attend de ses administrateurs qu’ils gèrent le rationnement à la façon de l’ex-Union Soviétique. On y a supprimé les choix individuels et l’esprit d’entreprise. On y a également supprimé le profit qui est la récompense de l’innovation. On a écarté le capital privé et on a, ensuite, déploré que le régime de santé manque d’argent et d’investissement, et qu’il ne soit plus novateur.
Même dotée d’une information parfaite, l’intervention publique est inévitablement biaisée par la domination des groupes d’intérêt, fussent-ils majoritaires. Aucun appel au dépassement managérial ne saurait nous protéger contre cette pathologie de la logique politique. Les défaillances du socialisme de la santé ne sont pas accidentelles ; elles ne découlent pas de l’incompétence des politiciens et des bureaucrates en place, de l’absence de volonté politique. Ce sont ultimement les jeunes, les personnes responsables et la santé en général qui écopent du fardeau en taxes alourdies et en qualité déficiente. Il arrive même qu’en alourdissant le fardeau fiscal général, la médecine étatique ralentit la croissance qui est historiquement le déterminant premier de la santé générale, particulièrement chez les moins fortunés.
L’Internet joue dans certains endroits un rôle réel en permettant par exemple la recension des maladies chroniques. De minuscules sensors attachés au corps, ou même insérés dans le corps, peuvent faire rapport aux docteurs du niveau d’insuline. Le besoin de voir le médecin s’en est trouvé réduit et surtout le risque qu’une condition chronique dérive en urgence s’en trouve abaissé. Grâce à cet outil, les admissions urgentes sont tombées de 20% et la mortalité de 45% en Grande-Bretagne. L’Internet peut aussi diffuser l’information accessible par ordinateur et l’entraide sociale entre les groupes. La responsabilité individuelle en est accrue. Malheureusement cette forme de pluralisme reste assez peu utilisée chez nous dans le domaine médical.
Relation entre budgets publics et services
En l’absence d’une dynamique d’adaptation, d’innovation et de croissance économique, il ne reste plus au régime public qu’une alternative pour tenter de répondre à la pression incontournable des besoins, l’injection de fonds supplémentaires ou le blocage de la capacité, le rationnement. Les comparaisons interrégionales confirment le caractère illusoire de cette voie facile. Le Canada se distingue par un budget de santé parmi les plus élevés de tous les pays du monde industrialisé qui offrent l’accès public universel aux soins. De nombreux autres pays obtiennent des résultats comparables tout en affectant moins de leurs ressources à ce secteur. Quand on compare le budget des provinces canadiennes entre elles, on découvre qu’il n’existe aucune relation entre la dépense publique de santé par tête et la longueur des files d’attente dans chacune d’elles. On n’observe aucune relation entre l’évolution des dépenses publiques de santé et le nombre de traitements par tête (Zelder, 2000). A titre d’illustration, rappelons que la Saskatchewan occupe le troisième rang sur dix en dépenses par tête, et pourtant le temps d’attente entre la référence d’un médecin et le traitement s’élevait à 34,5 semaines en l’an 2000 (14,0 semaines en moyenne au Canada). Tout se passe sous le régime public comme si l’apport de ressources fraîches ne faisait que se diluer en salaires supplémentaires, en prix accrus, ou en usages divers sans bénéfices pour les usagers. D’injecter des ressources dans un régime aux incitations perverses ne fait qu’empirer les choses.
De son côté, la Grande-Bretagne optait récemment pour l’injection de fonds publics comme solution presque unique aux déficiences de son régime. Le pari anglais a été mis à l’épreuve. Entre le tiers et les deux cinquièmes des hausses de budgets ont pris la forme de rémunération accrue, plutôt que de personnel plus nombreux et de meilleures installations. Les queues n’ont pas sensiblement raccourci. Les journaux font déjà état de l’absorption des ressources fraîches par les salaires et le raccourcissement des heures de travail. Le système britannique de santé compte presque autant de gestionnaires, d’administrateurs et d’employés de soutien que d’infirmières qualifiées. Par opposition, on dénombre dans un hôpital privé de Londres 43 postes administratifs pour 243 infirmières, ratio de 1 à 6, plutôt que de 1 à 1.
Autre illustration de cette loi d’airain, Medicare USA : Une étude publiée dans Annals of Internal Medicine vient de confirmer que la poussée des dépenses de Medicare n’a pas apporté de solution aux déficiences du régime. La démarche des chercheurs visait à déterminer si les patients qui habitent les régions à fortes dépenses (de la part de Medicare) obtiennent des soins de meilleure qualité. On sait que les variations interrégionales sont prononcées : 8 414$ par habitant à Miami, seulement 3 444$ à Minneapolis. S’agissant des traitements majeurs, tels les pontages, la cathéterisation cardiaque ou le remplacement d’une hanche, on découvre qu’ils sont essentiellement les mêmes indépendamment des régions et du coût. C’est lorsqu’il s’agit de soins plus discrétionnaires, tels les visites supplémentaires chez le médecin, chez le spécialiste en particulier, ou les tests diagnostiques, ou le nombre de jours dans les unités de soins intensifs, que les variations s’avèrent le plus prononcées. Au total, les résultats confirment que les dépenses publiques engendrent la multiplication des soins (jusqu’à 60% de plus), mais pas l’amélioration de la qualité des soins, ni l’accès, ni la satisfaction des patients.
La théorie économique et l’expérience universelle confirment que l’accès illimité à des ressources rares, à un prix voisin de zéro, n’est pas un aménagement durable On a observé cet aboutissement dans les pêcheries, dans les rues et les routes aux heures de pointe, dans la dégradation des nappes d’eau et ailleurs. Aujourd’hui c’est au tour du régime de santé de flancher sous le coup des déficiences inhérentes au système. Le principe qui préside à la prise en charge presque intégrale par l’État des frais de santé même mineurs est sans fondement moral ou économique et irréaliste.