En faisant le même exercice mais appliqué à l’éducation étatisée, on aboutit à un résultat semblable, c.-à-d. à des transferts de richesse au profit de la majorité (non pas spécifiquement aux gens dans le besoin) et aux dépens de la minorité. A raison de 6,000 dollars par année par élève pour dispenser l’enseignement à l’école publique, la substitution du financement public à la tarification marchande (frais de scolarité), vaudra à une majorité de la population comptant un enfant à l’école une économie de 1 500$ ou plus. Il suffit pour satisfaire au théorème du votant médian que la structure fiscale qui sert à financer l’opération soit proportionnelle au revenu ou mieux « progressive ». Dans la logique majoritariste, les consommateurs votants à revenu élevé portent le fardeau de prix (fiscaux) supérieurs aux demandeurs à revenu médian et inférieur. Sorte de discrimination par le prix fiscal contre les gens à revenu moyen supérieur.
En ajoutant la dimension monopolistique du secteur éducatif, on comprendra que les parents en ont hérité l’école de la médiocrité et le chômage, les contribuables, l’appesantissement fiscal et réglementaire. Les salaires excessifs et la permanence sont allés aux protégés du monopole syndical et bureaucratique. Le monopole public de l’éducation n’est pas qu’inefficace, il est inconciliable avec la diversité, avec la liberté de choix.
Cette conclusion vaut pour l’ensemble des activités publiques. En régime démocratique, le pouvoir politique se gagne au centre gauche. On a pu calculer qu’au Canada, c’est vers le milieu des années 70 que le nombre de bénéficiaires nets (qui reçoivent plus en services qu’ils ne paient de taxes) des programmes gouvernementaux a commencé à l’emporter sur le nombre de perdants (qui paient plus de taxes qu’ils n’obtiennent de services) (Institut Fraser, 1999). Près de 45% des foyers québécois ne paient aucun impôt sur le revenu. Ce qui veut dire que pour près de la moitié de la population votante, le prix des services publics a baissé au point de n’avoir plus de signification. Forcément, le fardeau supplémentaire retombe sur les épaules de la classe supérieure de revenu. Au moment où ces lignes sont écrites, les 30% de la population qui gagnent le plus, assument 80% des prélèvements d’impôt sur le revenu. Même dans les années 1990, période où selon l’interprétation conventionnelle les coupes budgétaires se sont faites sur le dos des pauvres, le degré de redistribution a augmenté. Les gens à revenu élevé étaient forcés de sacrifier 16% de leur revenu en taxes, en transferts négatifs et en services publics qu’ils ne consommaient pas ; de leur côté, les gens au revenu inférieur obtenaient des gains nets accrus de 16% en conséquence de ces faveurs publiques. Les pertes et gains correspondants atteignaient 14% en 1994, et 15% en 1986. (Dyck 2005) On comprend dès lors qu’il s’avère si difficile d’apporter des changements sensibles au régime de santé ou d’éducation en place, de même qu’au régime fiscal qui sert à le financer.
On comprend aussi par la même logique, que les partis politiques convergent vers le centre de l’opinion publique, qu’ils proposent des politiques qui se ressemblent. C’est la façon que le politicien ne peut manquer de découvrir pour se faire élire ou réélire. C’est ainsi qu’on explique que le politicien dont le seul souci est de se faire élire en vient quand même à faire ce que veut la majorité. Pour concrétiser de façon encore plus vivante la dynamique sous-jacente à cette approche, imaginons un gouvernement mondial, démocratiquement élu à l’échelle de la planète suivant le principe d’un homme une voix. Quel serait le résultat probable de ce processus ? Le plus vraisemblable est qu’on aurait un gouvernement de coalition sino-indien. Et qu’est-ce que ce gouvernement serait enclin à faire pour plaire à ses électeurs et se faire réélire ? Il découvrirait que l’Occident a trop de richesses et le reste du monde, particulièrement l’Inde et la Chine, trop peu; il mettrait en œuvre une redistribution systématique du revenu du riche Occident vers le pauvre Orient. On obtient déjà une approximation de cet aboutissement dans la prédilection que l’Assemblée des Nations Unies affiche systématiquement en faveur de l’aide jamais suffisante aux pays sous-développés.
Ces « expériences mentales » servent à illustrer les conséquences du processus de démocratisation qui a commencé aux États-Unis et en Europe au milieu du XIX siècle, et qui porte ses fruits depuis la fin de la première guerre mondiale. L’extension progressive du droit de vote et finalement l’établissement du suffrage universel aux adultes de dix-huit ans et plus ont fait de chaque pays ce que la démocratie mondiale ferait de l’ensemble du globe : mettre en branle une tendance permanente à la redistribution du revenu et des biens en faveur de la majorité, non pas spécifiquement aux défavorisés.