Dans le prolongement de notre approche positive fondée sur l’individualisme méthodologique, posons que les résultats du processus budgétaire ou réglementaire seront déterminés par le régime de sanctions et de récompenses qui encadrent les acteurs, votants, hommes de l’État et bureaucrates, tout comme l’aboutissement du marché dépend des incitations qui s’exercent sur les consommateurs et les producteurs. L’examen du contexte institutionnel dans lequel s’inscrivent les choix publics constitue donc une démarche absolument essentielle à la compréhension de la place effective des pouvoirs publics dans la société.
L’économiste identifie la finalité des politiques et des institutions, non pas par les déclarations des politiciens ou le préambule des lois, mais par leur incidence effective sur le revenu des intéressés. Or, la règle première de la logique démocratique, formellement énoncée il y a plus d’un demi-siècle par Downs (1957), est de répondre aux préférences de la majorité.[1] C’est d’abord en conférant des bénéfices à la majorité sur le dos d’une minorité que la victoire électorale se gagne en régime de scrutin majoritaire (Buchanan et Tullock, 1962, Buchanan et Congleton, 1998 et Tullock, 1976). Le souci premier, pour ne pas dire exclusif de l’homme politique, est de gagner la course électorale et donc d’adopter la plate-forme la plus favorable au votant majoritaire, le votant médian. C’est sa façon de gagner sa vie. Comme l’homme d’affaires vis-à-vis les acheteurs, le politicien adoptera les politiques qui lui vaudront la reconnaissance du votant médian.
La demande de services publics dépend d’abord du fardeau fiscal que chaque votant s’attendra d’assumer à différents niveaux de services. A cet égard, à mesure que la quantité de services s’élève, chacun atteindra un point où il juge que l’addition de service n’en vaut plus le coût. Selon les préférences de chacun, ce niveau variera. A un prix fiscal identique, certains en voudront plus, d’autres moins. On découvre en première approximation du vote à la majorité que seul le votant médian (la personne au centre de la distribution des votants) réalisera sa préférence optimale. Les votants les plus friands du service seront frustrés de n’en avoir pas assez, les votants les plus tièdes vis-à-vis du service, d’en avoir trop. C’est le sens du théorème du votant médian, où l’on compte autant d’individus qui en voudraient davantage que d’individus qui préféreraient en avoir moins. Ce théorème jouit empiriquement d’un pouvoir prédictif énorme dans toutes sortes de domaines, depuis les budgets scolaires, jusqu’aux politiques environnementales, etc.
Toutes les combinaisons majoritaires concevables n’inspirent pas les choix politiques cependant. C’est la combinaison médiane des votants que le politicien voudra privilégier. En fait, la politique majoritaire biaise les choix publics dans une première direction précise. La distribution du revenu est universellement asymétrique; il y a plus de familles qui font un revenu inférieur à la moyenne qu’il y en a qui font plus que la moyenne. En fait, la majorité des familles fait un revenu d’environ 55 000 dollars par année ou moins, soit un revenu inférieur à la moyenne qui, lui, s’établit à environ 73 000 dollars par année[2]. La logique du votant médian peut alors se formuler dans les termes formulés par Meltzer et Richard (1978, 1981, 1983). Les gens demandent la combinaison de taux d’imposition et de transferts (en argent ou en services) qui maximisent leur bien-être. Les individus dotés d’une productivité et donc d’un revenu inférieurs à la moyenne, c.-à-d. la majorité, opteront, comme tous les autres, pour des taux d’imposition réduits pour eux et des services publics gonflés en leur faveur. Mais, en tant que majoritaires, c’est eux qui domineront les choix publics en démocratie. A la limite, certains individus ne travaillent pas et ne paient pas d’impôt sur le revenu; c’est le cas de 44% des individus dans la province de Québec. Ils sont à l’origine de cette option. Donc les gens au revenu inférieur, qui forment la majorité, accorderont leur vote au candidat qui propose l’allègement du fardeau fiscal pour eux et son alourdissement pour les revenus moyens supérieurs. Entre autres, c’est en étatisant de vastes pans de l’activité économique et en recourant au financement public qu’on gagne les élections. Même si rien ne devait changer à la qualité ni à la quantité de services pris en charge par le gouvernement, une majorité de votants appuiera l’étatisation, uniquement parce qu’elle en tire des transferts de richesse de la minorité. La taille de l’État grossira.
[1] En réalité, Condorcet, au siècle des lumières, avait déjà énoncé la thèse, mais avant l’implantation méthodique de la démarche public choice dans les années 1960, il est tombé dans l’oubli.
[2] Statistique Canada, Income in Canada, catalogue 75-202-XIE.