Notre objectif ultime est d’interpréter la logique démocratique dans ses conséquences sur l’économie. Mais auparavant, on peut déjà identifier deux modèles de l’État ne jouissant d’aucune valeur prédictive. D’abord le modèle collectiviste, organique ou marxiste, qui présente le gouvernement comme l’incarnation d’une volonté collective abstraite, distincte de la volonté des individus qui composent la société et au-dessus d’eux. En fait, on associe souvent la vision « économique » de l’État au marxisme. La vision marxiste a fait l’objet d’innombrables écrits dont les conclusions globales sont que le marxisme ne jouit d’aucune valeur prédictive. Nous ferons grâce aux lecteurs d’accorder plus de temps à cette démarche.
D’autre part, en exposant une vision économique conventionnelle, on peut aussi définir un deuxième modèle d’État : l’État planificateur bénévolant qui réalise le bien commun, tout comme l’enseigne la vision collectiviste, mais à partir des préférences des individus qui composent l’appareil étatique. On peut déjà établir que, si la méthodologie qui inspire cette deuxième approche retient une perspective plus conventionnelle, sa valeur prédictive n’est guère supérieure à celle des marxistes. Reposons la question : si l’État s’inspire du souci du bien commun dans ses choix, comment expliquer la multitude des décisions inefficaces qu’il retient dans la plupart de ses initiatives, qui ralentissent la croissance et entrainent une distribution du revenu souvent déplorable? Ainsi, une prétention répandue veut que la récession amorcée en 2008 soit attribuable au marché libre et que le capitalisme s’avère un échec. En réalité la dernière récession est imputable d’abord à la banque centrale américaine qui a, avant 2008, inondé le marché de liquidité et porté les taux d’intérêt à des niveaux insoutenables. On associe aussi les récessions américaines au régime fiscal des entreprises, au Fannie Mae et au Freddie Mac, ainsi qu’au Community Reinvestment Act aux États-Unis. La réaction de la masse des observateurs populaires a été de blâmer le capitalisme. La fabrication d’une crise aura une fois de plus servi de prétexte pour gonfler l’État, comme l’ont été les guerres, les dépressions économiques et les désastres naturels.
Nous verrons plus loin que l’économiste des choix publics emprunte aussi une méthode d’analyse économique, mais radicalement différente de la marxiste et aussi distincte de la vision idéaliste de l’État bienveillant, inspiré du seul souci de réaliser le bien commun.
Nous tenterons de suppléer aux lacunes de l’enseignement traditionnel en proposant ce qu’il est convenu d’appeler l’économique des choix publics dans son application au Québec. Près de la moitié de la production nationale s’alloue à travers le processus politique. On s’étonne donc que l’analyse économique des choix publics ait pris son envol il n’y a guère plus d’un demi-siècle et qu’encore aujourd’hui, l’essentiel des efforts de réflexion des économistes se consacre à l’étude du secteur marchand. Les politologues pour leur part ne disposent pas d’une théorie propre à dégager des hypothèses falsifiables. On comprend mal aujourd’hui que les « social scientists » aient tant tardé à fermer l’écart entre l’investissement qu’ils font à comprendre les comportements individuels dans le marché et la société d’une part, et le processus de décision dans le secteur collectivisé d’autre part. L’économiste des choix publics s’emploie précisément à remédier à cette lacune. Il fonde son analyse sur les règles méthodologiques reconnues par la discipline. Il postule donc que le processus de décision politique obéit à la rationalité d’individus placés dans un contexte démocratique. Dans le schéma économique proposé, tous les agents maximisent leurs intérêts. L’analyse des choix politiques placera ces individus, votants, groupes d’intérêt, politiciens et bureaucrates, dans un marché politique où les sanctions et récompenses diffèrent de celles qui les encadrent dans le marché. Cette démarche ne laisse aucune place à ce que la vision populaire désigne comme une volonté collective occulte, distincte de la rationalité des individus qui déterminent les choix politico bureaucratiques, et au-dessus d’elle.